Ivar Petterson : un parcours libertaire

IMG_2113Artisan et militant anarchiste, Ivar Petterson est venu rencontrer la compagnie Naje le 14 décembre 2013 dans le cadre du chantier national sur les normes. Né à Stockholm en 1945, puis émigré en Suisse à l’âge de 3 ans, il a gardé la nationalité suédoise jusqu’à 20 ans.

Bibliographie autour de l’anarchisme, de la marche pour la paix et du pouvoir financier mondialisé proposée par Ivar Petterson

Un lien avec le Forum de Solidarité Bosnie : on peut s’y inscrire et participer au forum de discussion.

« Depuis l’âge de 20 ans, j’ai milité sur des positions libertaires, participant à la création de plusieurs groupes successifs à Lausanne et à Genève ; mais actuellement, je ne suis plus membre d’un groupe spécifique anarchiste. Pour qualifier mon engagement, j’évite le mot « anarchiste », trop souvent mal interprété. Je préfère le terme « libertaire », ou même « liberterrre » du fait de ma fibre écolo. Depuis 1968, du fait aussi que les groupes anarchistes étaient souvent éphémères, j’ai beaucoup milité avec des camarades d’autres mouvances politiques, ce qui n’est pas toujours bien compris et accepté par les anars purs et durs.

Je pense aussi qu’il faut éviter de se laisser enfermer et militer dans un esprit de créativité et d’innovation, trouver des nouvelles formes de lutte. Ceci dit, le mouvement anarchiste ou libertaire (synonyme) n’est pas un monolithe. Il est divisé en différents courants : anarcho-syndicaliste (Espagne, 1936-1939), communiste-libertaire et individualiste.

Au sein de chacun de ces courants, il y a des personnes qui travaillent et réfléchissent sur des questions de société et d’autres qui recherchent avant tout un groupe affinitaire avec lequel ils peuvent s’identifier. Ces derniers sont souvent assez méfiants et sectaires.

De la violence à la non-violence

A dix ans, après avoir gagné le 1er prix dans un concours de dessin de toute la Suisse romande et être devenu le héros de l’école, on déménage six mois après dans la région de Montreux, où la rogne est vive envers les riches étrangers (notamment les Anglais qui reviennent des colonies). Malgré le fait que mon père était ouvrier typographe et que nous n’étions pas riches, notre nom (un peu de consonance anglophone) a suffi pour que nous soyons des boucs émissaires de la part des enseignants, qui montaient les élèves suisses contre nous. Mon frère et moi subissions toutes sortes d’injustices et de violences, culminant en un redoublement injustifié, que nous n’avons pas accepté.

Voyant alors que nos parents ne pouvaient rien faire contre cette discrimination (le directeur leur disant «qu’ils ont de la chance de pouvoir mettre leurs enfants à l’école en Suisse »…), nous avons décidé de nous défendre et de contre-attaquer par nos propres moyens.

Avec des camarades eux aussi discrimines, nous décidons alors (ne voyant pas d’autres moyens) de nous armer et de fabriquer des explosifs. Nous sortons de nuit et dévalisons un stand de tir. Nous arrivons aussi, à nos risques et périls, à fabriquer un explosif artisanal (qui sera expérimenté avec succès). On s’identifiait alors à la résistance algérienne (c’était en 1957). Mais lorsque l’aîné du groupe a volé des carabines supplémentaires pour nous exercer à tirer, les policiers nous sont tombés dessus, ce qui a entraîné le divorce et départ de la famille de nos amis, et donc la fin de notre projet. Nous avons alors fait disparaître notre cache d’armes pour que personne ne les trouve.

Quelques mois après, à l’âge de 13 ans, m’étant cassé une jambe au ski et me trouvant isolé à l’hôpital, j’ai réfléchi et j’ai décidé, seul, de poursuivre notre combat contre l’injustice par des moyens non violents.

Jumelage en Algérie et découverte de Mostar et Sarajevo

En 1965, j’étais membre fondateur d’un jumelage avec Chetaibi, un petit port algérien, où nous avons transformé une maison en centre de soins pour les nouveaux-nés. J’y suis retourné en 1967 et 1969, menant divers travaux avec des équipes de jeunes du village et partageant l’animation. Ayant découvert l’autogestion, nous avons été deux du groupe à aller en Yougoslavie en 1966. Ayant entendu parler d’une région de culture musulmane, nous avons alors découvert successivement Mostar et Sarajevo, villes dont le cœur ont été façonné par l’urbanisme ottoman. Comme en Algérie, l’accueil y a été inoubliable.

Découverte du mouvement anarchiste et engagement pacifiste

C’est grâce à la rencontre, par hasard, avec un peintre libertaire, à mon arrivée à Genève en 1967, que j’ai découvert l’anarchisme. Il m’a ouvert sa bibliothèque et ensuite, durant mon service militaire à Lausanne, je fréquentais la bibliothèque du CIRA (Centre International de Recherche sur l’Anarchisme).

Il n’y avait plus de groupe anarchiste en Suisse romande depuis une dizaine d’années et les vieux militants étaient dispersés.

En 1968, j’ai quitté mon boulot de tapissier-décorateur pour reprendre durant trois mois le secrétariat de l’Internationale des Résistants contre la Guerre (IRG). Par hasard, cela tombait sur les mois d’avril-mai-juin 1968 : un moment extraordinaire.

Parallèlement, j’ai participé à la création de la « Fédération socialiste libertaire » à Lausanne avec une première apparition publique lors du cortège syndical du 1er mai 1968, en prônant l’autogestion. Nous avons été très actifs, notamment lors des Journées militaires de Genève, en bloquant une conférence militaire et en diffusant un tract « Contre le cancer », qui servira de prétexte au Ministère public pour procéder à une perquisition et à des interrogatoires, puis m’inculper pour « atteinte à la sécurité militaire et incitation à la désertion ».

Le procès a eu lieu en 1969 à Lausanne et s’est conclu par une victoire pour nous. En effet, non seulement j’ai été acquitté, mais nous avons monté deux Comités à Lausanne (le soir même) et Genève (3 jours après) réunissant plusieurs centaines de personnes contre les manipulations du pouvoir suisse qui voulait faire passer les divers opposants pour des gens pilotés par Moscou.

En 1989, j’ai vu, lorsque nous avons pu accéder à nos fiches de police (900 000 personnes surveillées en Suisse), que j’étais l’un des plus fichés !

Cela ne m’a pas empêché de poursuivre mes cours de service militaire dans le sauvetage en montagne. Dans le cadre normatif de l’armée, j’ai expérimenté avec quelques camarades diverses formes de résistance conviviales, qui ont entraîné l’ensemble de la compagnie.

Rompant avec la résignation qui règne en général, nous avons qua,si systématiquement occupé les « temps libres » pour des partages de connaissances, organisant des exposés-débats sur divers sujets, sur la base de nos expériences : Tchad, Algérie, anarchisme et milices CNT dans la guerre d’Espagne, psychiatrie et anti-psychiatrie, etc. Nous invitions aussi nos officiers.

Nous avons obtenu la gestion d’un camp d’handicapés, où il y avait réellement une gestion collective, notamment dans le groupe animation, rompant avec la norme hiérarchique et  verticale de l’armée.

Origine de l’anarchisme et de la pensée libertaire

Le congrès de l’Internationale antiautoritaire de Saint-Imier (Jura suisse), le 15 septembre 1872, marque le début de ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement anarchiste (terme qui n’existait pas encore en ce moment-là).

Ce Congrès, organisé par la « Fédération jurassienne », répondait à la scission survenue au Congrès de l’Association Internationale (AIT ou 1ère Internationale), tenu à La Haye début septembre, entre, d’une part, les marxisants tenants du socialisme étatique et, d’autre part, les sections internationales de tendance « anarchiste » voulant instaurer un socialisme sans État, organisé depuis la base (autogestion) par une rupture révolutionnaire et une grève générale expropriatrice menant à la gestion collective des entreprises occupées par les travailleurs eux-mêmes.

La « Fédération jurassienne » (1868-1889) comptait beaucoup d’artisans horlogers-paysans, qui se réunissaient le soir pour étudier les textes de Proudhon, Bakounine, Kropotkine et Karl Marx.

Le concept libertaire se base sur un double processus fédératif : l’un sur la base des entreprises (travailleurs), l’autre sur la base des Communes (avec tous les citoyen-ne-s) : organisation horizontale.

Confrontation durant la révolution russe

A la fin du 19e siècle, le courant anti-autoritaire était plus important que le courant marxiste. Mais il y a eu basculement lors de la révolution russe. Lénine a repris le mot d’ordre anarchiste « Tout le pouvoir aux Soviets » pour, au cours des années de 1917 à 1922, en inverser le sens et arriver à donner tout le pouvoir au « Soviet suprême », emprisonnant et liquidant ainsi les révolutionnaires anarchistes, et notamment la « Makhnovitcha » ukrainienne, qui sauva la révolution en stoppant l’offensive des troupes tsaristes soutenue par les pouvoirs occidentaux.

Les  « soviets » étaient à l’origine des « Conseils » fédérés depuis la base. Dans la révolution russe, les Bolchéviques considèrent qu’avant de redonner du pouvoir à la base, il faut passer par une phase de pouvoir qui vient d’en haut. Tous les pays de l’Est ont subi ce formatage. Il fallait être bien avec les responsables locaux. Ceux qui prenaient des initiatives risquaient le goulag. L’idée libertaire ayant été anéantie, ce sont maintenant des courants nationalistes qui émergent.

La seconde confrontation dans l’Espagne de 1936-39

Au début 1936 en Espagne, un gouvernement de gauche est élu grâce à l’apport de plus d’un million de voix anarchistes (rompant avec leur consigne habituelle d’abstention). Le 19 juillet 1936 est marqué par le coup d’État de Franco, soutenu par Hitler, Mussolini et le Vatican. L’armée est divisée. Les anarchistes de la CNT-FAI (Confédération Générale du Travail) ripostent et s’emparent de casernes à Barcelone. Avec les armes récupérées, ils organisent des colonnes qui libèrent la Catalogne, l’Aragon, le Levant. Cependant ils ne veulent pas tout le pouvoir pour eux seuls. Ils le partagent avec des républicains, socialistes et communistes (ce qui se retournera contre eux par la suite).

Ils s’auto-organisent en « collectivités » dans tous les domaines de la vie civile et économique et dans leurs milices, mais ils manquent d’armes. Le Parti communiste, appuyé par Staline, s’empare du gouvernement, par le biais de l’acheminement des armes depuis les pays de l’Est. Entre 1937 et 1939, les violentes confrontations entre communistes staliniens et anarcho-syndicalistes font le jeu de Franco, qui s’empare du pouvoir en 1939.

Dans les régions contrôlées par les anarchistes, il y a eu de nombreuses expériences sociales et innovations dans beaucoup de domaines (notamment en médecine et psychiatrie). De nombreuses communes ont remplacé la peseta par des carnets à points (formule reprise par les actuels SEL, systèmes d’échanges locaux), perfectionnant le système en élargissant les formules les plus adaptées et abandonnant au fur et à mesure les formules qui se révélaient moins performantes. Il y avait ainsi une souplesse d’adaptation collective expérimentale qui contraste avec le système centralisé et vertical imposé d’en haut par les partisans du communisme étatique.

Vers un rapprochement face à un défi majeur 

L’effondrement du bloc soviétique et la montée en puissance du capitalisme financier obligent les différents courants socio-politiques à se repositionner. De plus en plus de militants marxistes remettent en question le léninisme et la formule de Parti-État, qui a conduit à un échec. Et du côté libertaire, les mouvements engagés socialement (anarcho-syndicalistes, communistes libertaires) défendent les acquis sociaux (fruits de luttes antérieures) aujourd’hui en principe garantis par les États. Mais jusqu’à quand ?

Les grandes banques et les transactions internationales ont de plus en plus de pouvoir, il y a donc beaucoup de connivences entre eux. Des accords (TAFTA) sont discutés en secret dont les conséquences sur les États sont graves : les multinationales ont désormais le pouvoir de condamner les États qui n’appliquent pas leurs règles ! On s’intéresse beaucoup, avec Attac, aux accords scellés en secret au sein de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), car ils produisent des normes qui imposent des amendes aux pays refusant les OGM ou les gaz de schiste par exemple.

La vaste offensive – à l’échelle mondiale – des forces capitalistes, visant à instaurer la dictature du pouvoir financier, oblige les différents courants du socialisme révolutionnaire à se rapprocher et ainsi mettre fin à une division qui existe depuis plus d’un siècle.

Depuis quelques années, il y a convergence dans une réflexion de fond qui porte, d’une part, sur les concepts de base du socialisme (étatique et libertaire) et, d’autre part, sur la réponse à donner face à la montée du pouvoir financier mondialisé.

Il y a ainsi de nouvelles analyses du capitalisme sur la base d’un marxisme revu et corrigé. Mais un intérêt croissant pour les expériences autogestionnaires réalisées par le mouvement anarcho-syndicaliste dans l’Espagne de 1936-39 : ceci inspire le mouvement actuel de reprise d’entreprises en coopératives (Argentine, Grèce) et, en général, il y a développement de démarches depuis la base (hors partis politiques) au travers d’assemblées générales et de groupes de travail pluralistes.

Il manque encore un réel projet social alternatif et des stratégies adéquates pour le réaliser.

A Genève, le « Mouvement vers la révolution citoyenne » réunit marxistes et anarchistes sociaux dans une réflexion globale.

Genève déchirée entre héritiers du calvinisme et libertins

A Genève, il y a beaucoup de difficulté à pérenniser une organisation anarchiste du fait qu’il y a chez les opposants ou révoltés une aversion envers toute forme de structure permanente (qu’elle soit verticale ou horizontale), ressentie comme un basculement dans le camp adverse.

Historiquement, cette aversion remonte à l’époque où les « libertins » s’opposaient au calvinisme (courant du réformisme protestant). Le calvinisme imposait un régime strict et austère avec bannissement des couleurs, tant dans les vêtements que sur les maisons. Le théâtre et le carnaval étaient interdits. Le non-droit à la jouissance a favorisé l’accumulation du capital : début du capitalisme et des banques genevoises.

La mouvance « libertine » actuelle, qui se croit anarchiste en refusant toute réflexion et activité structurée, se condamne à des actions sporadiques et incohérentes, servant ainsi de piétaille à des militants autoritaires « blacks bloc », ce qui conduit à saboter des manifestations organisées par la gauche et les organisations libertaires contre l’OMC ou l’anti G8 de 2003.

Différence entre communisme et anarchisme

La base commune entre les deux, c’est l’idée de la révolution sociale. La bourgeoisie détenant les moyens de production, il faut faire la révolution pour instaurer la propriété collective afin de créer une société égalitaire, avec la disparition de l’État. Marx parle aussi d’une société qui n’aurait plus d’État.

Mais pour parvenir à ce but, socialistes et communistes pensent qu’il faut reprendre l’État (pour les socialistes par les élections, pour les communistes par la révolution) en réalisant d’abord la « dictature du prolétariat » avant de faire disparaître l’État.

Au contraire, les penseurs anarchistes, et notamment Bakounine, considèrent qu’il faut réaliser la révolution par l’auto-organisation à la base (autogestion) en une double structure fédérative (entreprises et communes) afin de pouvoir se passer d’un pouvoir central. D’emblée, les anarchistes ont jugé utopique le concept de dépérissement de l’État. Ce qui s’est passé en Russie avec Lénine et Staline leur a donné raison : une fois installés au pouvoir, ceux qui le tiennent ne le lâchent pas !

Questions/réponses

L’expression « Ni dieu ni maître ! » est une réaction par rapport aux régnants qui disaient détenir leur pouvoir de dieu.

L’anarchisme, c’est une organisation basée sur des fédérations locales. La « Commune de Paris » de 1871 était un concept libertaire.

Rousseau disait que l’homme est fondamentalement bon. Mais l’accumulation de normes, les contraintes sociales créent des frustrations. L’agressivité qu’on reçoit d’en haut est ainsi projetée sur les proches, imposée à d’autres ou alors diluée dans l’alcool et/ou les drogues. Une prise de conscience individuelle et collective est nécessaire pour éviter cette projection et reproduction de la violence.

Historiquement, le mouvement anarchiste a favorisé l’émancipation féminine, notamment dans le cadre de communautés libres.

Normes et moments hors-normes

Sur le plan des normes, la trilogie « liberté-égalité-fraternité » sert de base de référence à tout le mouvement révolutionnaire, qu’il soit socialiste, communiste ou anarchiste. Mais, dans la réalité, nous sommes très loin de cette norme.

La contrainte des normes est un problème très ancien. Elle existait déjà au temps des Romains. Au Moyen-âge, les gens au pouvoir ont su habilement canaliser les frustrations engendrées par les contraintes en instaurant des moments de relative liberté.

Les carnavals et organisations de moments festifs étaient des soupapes de sûreté pour compenser le poids des normes. Le pouvoir savait qu’il fallait laisser ce temps pour éviter des soulèvements et donnait symboliquement la clé de la ville au « roi des fous ».

Toute société a besoin de normes. Il y a plusieurs catégories de normes : celles qui relèvent du bon sens et celles qui, de plus en plus, s’imposent et sont mises en place au niveau mondial. Ces dernières cassent celles déjà mises en place par du bon sens et les compromis sociaux. Il y a donc une bataille des normes.

Quelques expériences à Genève

Entre 1970 et 1977, j’ai organisé, avec ma compagne d’alors, des repas-rencontres assurant, d’une part, la promotion du végétarisme et du bio et, d’autre part, les liens sociaux. Des groupes de quartier se sont ainsi constitués pour lutter contre des projets immobiliers (par exemple, rénover au lieu de tout détruire).

Pour contrer les projets immobiliers visant à multiplier le profit et l’exploitation des locataires, on s’est abonnés au journal officiel. On avait un mois pour réagir, en mettant des tracts dans les boîtes aux lettres et en contactant les locataires pour leur proposer des lettres collective. On se réunissait une fois par mois et plus s’il le fallait ; et certaines périodes étaient vraiment chargées.

En 1972, nous étions trois groupes pour organiser le squat du Prieuré (une cinquantaine de pièces), le premier squat autogéré, organisé en groupes de travail et coordonné par des assemblées générales.

Ceux qui voulaient dormir plus de trois nuits devaient participer aux groupes de travail (cuisine, vaisselle, etc.). Des jeunes allaient bosser chez des agriculteurs qui, en échange, leur donnaient des œufs et des légumes (on devait assurer plus de 150 repas par jour).

Il y avait entre autres des gens au chômage ou en difficulté psychologique. Mais la grande majorité, surtout en été, étaient des jeunes du monde entier, de passage à Genève : ils ont découvert là une autre façon de vivre et de penser, qui a éveillé bien des vocations.

Par exemple, des jeunes qui débarquaient de New-York ont découvert le travail dans les jardins bio, dans le cadre du groupe de troc villes-campagnes : récolte de fruits et petits fruits, salades, légumes, sarclage des mauvaises herbes, etc. A la fin de la journée, les paysans nous donnaient en échange une partie de la récolte, des œufs et autres produits. Ce système de troc nous permettait d’offrir des repas gratuits à tous ceux qui étaient membres de groupes de travail. Il y avait aussi les sympathisants et habitants du quartier, qui contribuaient par leur participation à la marche de la Cuisine populaire, végétarienne et bio. Nous voulions par là encourager la création de réseaux entre petits-producteurs et consommateurs, en-dehors des grandes surfaces commerciales.

Il y a aujourd’hui à Genève une dizaine d’associations qui ont développés de tels réseaux (connus en France sous le nom d’Amap, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne).

Mais fin juillet 1972, notre squat a été envahi par une masse de passage (ne comprenant pas l’autogestion) et nous avons (après un ultimatum) été obligés d’abandonner ce système de partage, qui avait pourtant été bénéfique pour tous les participants.

Revenus à mi-octobre, nous avons alors relancé le projet de squat autogéré, mais alors que nous allions ouvrir un Centre de documentation et librairie alternative, les autorités sont intervenues avec plus d’une centaine de policiers pour détruire cette expérience.

Nous avons pu rebondir avec deux associations :

–        Le CRAC (Centre de Recherche et d’Action Communautaire), qui existe depuis 1975 et fonctionne maintenant en coopérative. Depuis le début, il y avait un Magasin du Monde, des locaux associatifs et des appartements communautaires.

–        Le CAR (Coordination Accueil et Renseignements) qui existe depuis l’été 1974, et dont je suis président depuis quelques années. Installé devant la gare de mi-juin à mi-septembre (de 9h à 21h), il accueille et oriente plus de 20 000 voyageurs (en majorité des jeunes).

La Marche pour la Paix

Lorsque la guerre a commencé en ex-Yougoslavie, J’étais au Comité Paix à Genève. Etant le seul à être allé en Bosnie, j’ai recueilli des confidences d’un Bosniaque venu travailler à Genève après avoir été informé par un membre des services secrets serbes de l’agression qui allait survenir.

J’ai aussi été informé par un retraité hongrois du fait que les puissances occidentales voulaient l’implosion de la Yougoslavie socialiste (pour pouvoir ensuite l’intégrer morceau par morceau dans l’Union européenne) et que des agents de la CIA étaient sur place pour soutenir la montée des nationalismes.

C’est ainsi que lors de l’agression de la Serbie contre la Bosnie en avril 1992, je ne partageais pas la thèse en vogue au Comité Paix  – et plus globalement dans la gauche – de « guerre inter-ethnique » : ils répétaient juste ce que disaient les médias). C’est pourquoi j’ai fondé avec quelques personnes rencontrées au hasard (dont un ex-délégué du CICR) le groupe et journal « Mirna Bosna ».

La gauche et extrême-gauche (anarchistes compris) sont restés totalement indifférents à ce qui se passait en Bosnie. Ils n’ont réagi que lors du génocide de Srebrenica (juillet 1995) pour aussitôt oublier. Encore en 2004, l’Association des survivants de Srebrenica n’a pu entrer à la Maison des associations qu’au terme de quatre mois de dures négociations. La situation s’est heureusement détendue depuis 2005 et la Ville de Genève, par exemple, soutient la Marche pour la Paix.

Mais entre 1992 et 1995, il y avait à peine une dizaine de Suisses présents aux manifestations qui réunissaient plusieurs milliers de Bosniaques devant l’ONU à Genève, pour protester notamment contre l’embargo sur les armes qui entravait la résistance de la République de Bosnie-Herzégovine contre le « nettoyage ethnique » et génocide (sièges de Sarajevo, Mostar, Maglaj, Gorazde, exécutions sommaires dans les villages et petites villes…).

Depuis début 1992, nous étions préoccupés par la situation de villages et villes bosniaques comme Konjevic Polje, Cerska, Srebrenica. Lorsque cette ville fut déclarée « zone de sécurité », nous avons tout de suite compris que ce n’était pas sérieux et que la population serait sacrifiée. La tragédie de 1995 nous a malheureusement donné raison.

La SDN (Société Des Nations) avait déjà imposé en 1936 un embargo sur les armes contre la République espagnole. L’ONU a récidivé. Dans les deux cas, c’était une complicité avec les agresseurs. La Bosnie-Herzégovine a été attaquée le jour de la proclamation de son indépendance, le 6 avril 1992.

Tout au long de la guerre, nous avons recueilli beaucoup d’informations et témoignages (traduits par l’ex-délégué du CICR), mis dans notre publication « Mirna Bosna » et transmis en France (en Suisse, nous n’avions pas de relais militants et les médias nous censuraient).

Par chance existait en France le « Mouvement des citoyens-citoyennes pour la Bosnie », qui regroupait 400 collectifs divers, formé en grande partie de dissidents du PS (car le président François Mitterrand était pro-serbe).

Après la guerre, j’ai monté une association de soutien à la création de petites entreprises en Bosnie. Organisant des stages en ateliers, y compris dans mon atelier tapissier ; ce qui a permis le lancement de 6 petites entreprises (garage, boucherie, etc.).

En 2000, j’étais membre-fondateur de l’Association des survivants de Srebrenica et, dans ce cadre, j’ai organisé cinq marches de trois jours, d’Yverdon à Berne, et ensuite sur Genève par le pied du Jura. En octobre 2004, j’ai été pour la première fois à Srebrenica et j’ai réussi à convaincre quelques responsables locaux d’organiser la Marche sur le vrai trajet de la colonne en juillet 1995. Mais je leur ai conseillé de réaliser la Marche, symboliquement, dans le sens du retour : ce qui se fait ainsi chaque été.

Lors de la première Marche en 2005, nous étions 500, essentiellement des vétérans de 1995, et par la suite le nombre a grimpé jusqu’à 7000 participants, en majorité des jeunes.

La Marche pour la Paix  a lieu du 8 au 10 juillet. Elle commémore la fuite des 14 000 hommes partis de Srebrenica au soir du 11 juillet 1995 pour arriver (du moins les survivants) à Nezuk le 16 juillet à midi. Mais 5 000 hommes ont été tués ou exécutés, dont 3 000 à Potocari. Environ 372 hommes ont été tués dans les semaines et mois qui ont suivi. Et quelque 2 000 hommes ont réussi à survivre dans les forêts et montagnes avant de réussir à franchir la ligne de front.

Nous voulons que la Marche soit essentiellement un moment de convivialité et  solidarité avec les habitants qui sont revenus reconstruire leurs maisons dans la région, le long de ce Chemin de paix de 80 kms La présence d’internationaux permet de sécuriser cette action. Le 11 juillet, c’est une journée de deuil.

Venez à cette Marche ! »

 

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