Un stage en Guadeloupe aboutissant à un spectacle (2006)

Cette action a eu lieu à Basse Terre, capitale administrative de la Guadeloupe. Les participants venaient de diverses villes.

Le commanditaire : c’est l’association « Initiative’Eco »

Le travail a eu lieu dans une salle de la mairie de Basse Terre.

Les participants : Ils étaient au nombre de 8 : 4 hommes, 4 femmes. Il y avait 5comédiens, dont le fondateur de la compagnie Savann’ avec qui une convention a été signée avec le commanditaire. Les 4 autres comédiens venaient de diverses compagnies mais avaient été contacté par Savann’. 
Les trois autres personnes étaient des acteurs sociaux, une travaillant à initiative’ éco , les 2 autres sur des associations ayant pour objectif le travail avec les personnes handicapés, les personnes porteuses du sida, des femmes violentées.
Ils avaient entre 25 et 50 ans, 6 antillais, un martiniquais installé en Guadeloupe depuis une dizaine d’années une parisienne installée depuis l’âge de 11ans en Guadeloupe. La psychologue d’initiative éco , nous a rejoins sur une journée et demie de travail, ce n’était pas prévu mais après avoir vécu un exercice particulier : « prendre sa place », elle a demandé à revenir une journée.

Initiative’eco a mobilisé les acteurs sociaux. Savann’ , les comédiens. Une quinzaine de participants étaient prévus mais des désistements ont eu lieu avant le démarrage.

L’équipe de NAJE : Mamadou Saal et Clara Guenoun , comédiens et formateurs de la compagnie NAJE, ont animé cette formation de 30 heures du lundi 4 sept 2006 au vendredi 8 sept 2006, de 8h30 à 15h30 avec une heure de pause.
Les objectifs : Les objectifs au départ étaient les suivants : Apprendre à pratiquer la méthode avec les publics des différents services et associations et leurs permettre de l’utiliser dans l’exercice de leurs fonctions professionnelles. Apprendre à créer un nouveau spectacle de théâtre forum soit avec des personnes de ce groupe , soit avec des habitants. Apprendre à diriger une séance de théâtre forum public. Apprendre à jouer et à diriger des acteurs professionnels ou non.

Récit par Clara et Mamadou de leur travail

On a tout d’abord raconté l’histoire d’ Augusto Boal, du théâtre forum, ce qu’est la compagnie Naje, ce qu’on allait faire ensemble. On a posé le cadre matériel mais aussi le non jugement et la confidentialité comme base à notre travail. On a travaillé d’une part autour des jeux de notre répertoire en faisant constamment le pont entre ce qu’ils ressentaient pour eux et ce qui était en jeu lors de l’animation des exercices. On a parlé du sens des jeux, du public concerné, des enjeux, des difficultés qu’on peut rencontrer, de la place du formateur. Voici la liste des jeux . Nos objectifs à ce moment là étaient de travailler , selon les jeux : la constitution du groupe, la confiance, la démécanisation, , la relation oppresseur- opprimé, l’écoute, la concentration, la prise en compte de l’espace, le jeu du comédien.
Voici la liste des jeux chronologiquement :
Le nœud, l’espace stop, l’aveugle promenade, l’aveugle prénom, les bombes, le clin d’œil, le chœur des prénoms, l’hypnose avec oppression, le 8 aveugle, prendre sa place, le sculpteur sculpté, monter les gammes, le phare, personne à personne, la salle d’attente, le personnage vide, la sculpture aveugle, la pluie.

D’autre part après un « complétez l ‘image » et un « pilote copilote, » nous avons travaillé sur toutes les histoires des personnes. Les 2 premiers jours , les personnes mettaient en scène les histoires retenues par le groupe, ils jouaient leur oppresseur et les formateurs jokaient (c’est à dire animaient le forum avec les spectateurs). Au fur et à mesure ce sont les participants qui se sont entraîné au jokage. Nous l’avons proposé comme une chose facultative mais chacun a voulu s’y confronter. Après chaque jokage, le joker avait la parole pour dire ses difficultés, ses questionnements, les comédiens donnaient leur ressenti et les formateurs renvoyaient au joker ce qui fonctionnait ou qui ne fonctionnait pas dans sa façon de joker, toute remarque étant là pour aider et non démolir.

Les temps d’échange étaient très riches car les participants , étant très investis dans la formation , étaient en recherche permanente de comprendre profondément tout ce qui se jouait lors d’un théâtre forum. Le rôle du politique, les questions de fond sur la construction du modèle, le bétonnage, l’arrêt des interventions, bref des questions qui ne sont jamais réglées. Les participants de ce stage ont très vite formé un seul groupe même si le fait que certains aient déjà mis en scène aidaient énormément à la construction des modèles et au niveau du jeu de comédien. Les gens ont été très vrais sur ce stage, beaucoup de moments fort en émotion ; ce qui a permis a chacun d’avancer.

On a travaillé sur leurs propre histoires qui touchaient différents thèmes :

Quand son propriétaire vient rôder autour de la maison et fait circuler une rumeur. Les obstacles qu’on rencontre quand on veut monter un lieu culturel. Quand on est confronté de très près à la maladie mentale. Quand on est blanche et que notre père ne veut pas qu’on aime un noir qui en plus est à 8000km. Comment faire après le divorce pour qu’il joue son rôle de père ? On travaille , on est exploité et on n’est pas payé à la fin du chantier. Quand on est témoin d’une scène de violence dans la rue. Quand on subit du harcèlement morale au travail jusqu’au licenciement. Quand on subit des injustices dans sa famille en tant qu’enfant.

Le bilan du stage Il a été fait sous forme d’image. Chacun a fabriqué une image de ce qui a été fort pour lui dans ce stage. Il se mettait à l’intérieurde l’image. Chacun, soit en regardant, soit en étant à l’intérieur pouvait dire : « ça me rappelle le moment .. ». Un bilan très beau , avec un groupe qui, jusqu’au bout, aura été en solidarité avec l’histoire , l’image de chacun. D’autre part, chaque jour chacun pouvait dire ce qu’il souhaitait sur la journée. Je vais donc poser certaines phrases dites par des participants au long de ce stage. Mais juste avant j’ai envie de vous raconter un moment fort : La télé arrive un matin, on n’était pas au courant. On faisait forum sur l’histoire de M qui raconte qu’un jour à paris il a vu un homme frapper une femme et qu’il n’a rien fait. Il s’est dit « comment moi petit antillais en vacance je vais me mêler d’une scène entre un maghrébin et sa femme ? » cette histoire pour lui est toujours présente, on l’a donc monté de son point de vue. On explique au journaliste qu’il peut filmer le travail puisque le groupe est d’accord. On joue le modèle et là le caméraman pose sa caméra et me dit :  « excusez moi, vous n’auriez pas une autre scène ? » Moi, un peu froide je lui dit que c’est du théâtre forum et qu’on n’a pas de scène drôle. Et là je le vois se décomposer et il me dit : « je peux pas filmer un homme qui frappe une femme, ça me fait trop mal, je ne peux pas, je suis trop sensible à ce sujet. » On était tous scotché, la journaliste aussi, un temps de silence et je lui dit : : « laissez tomber la caméra et venez faire forum avec nous. je reprends mon rôle de jocker, il hésite, je dis qu’on peut tenter des choses qu’on ne ferait peut être pas dans la vie, qu’on est là pour s’entraîner ensemble. Il monte en disant que quand ça lui arrive voilà ce qu’il dit et il va parler à l’homme violent. Il a dans une grande explication sur l’importance de la femme . Puis en retournant à sa place il nous dit : « en fait, quand ça m’arrive , je tourne la tête et je pleure ». On s’est assis et on a discuté avec lui sur le sens du théâtre forum, sur pourquoi on était là. Il a du être sacrément remué car on ne l’a pas revu.

C’est formidable, c’est la première fois que je participe à ce genre là. Il faut se donner du temps 
 Il y a une corrélation entre les jeux et la vie. L’expérience du groupe est thérapeutique. Mettre en scène une partie de sa vie n’est pas facile. 
 Je suis enchanté. Il y a une situation d’intimité grâce aux histoires qu’on se raconte. Les jeux vont à l’essentiel de la relation. 
 Quand vous dites « on fait forum », je sens la notion de jeu. 
 J’ai l’impression d’être dans mon monde alors que je n’ai jamais fait de théâtre. 
 J’apprécie énormément d’entendre ces histoires, c’est un regard différent sur la vie. 
 Si ça fonctionne, c’est parce qu’on est encadré par des professionnels ; je me laisse aller au grès des flots. La mayonnaise prend. 
 Le théâtre forum peut provoquer des réactions inattendues, on l’a vu avec le caméraman. 
 Dans ce travail,les silences sont habités. 
 Je trouve que c’est assez douloureux car il n’y a pas de solution miracle. Ca demande du silence, de l’humilité, de la recherche, de l’humanité ; 
 Aujourd’hui on a eu toutes les facettes du théâtre forum, tous les protagonistes, c’était riche en émotion. 
 On est mis à nu. Moi j’ai compris que je ne pouvais pas continuer à raconter quand la télé est arrivé. Je ne suis pas celle de la télé ici. 
 Je découvre un outil extraordinaire, une autre approche du théâtre . Le social, le politique. On travaille sur du sensible, du vécu ; il y a une part d’universalité dans chaque histoire, en tant qu’habitant du monde.

Suites éventuelles : Pour la suite , des projets sont lancés sur la guadeloupe. L’idée est que des comédiens puissent venir sur Paris nous voir sur des ateliers, des formations, des créations de spectacle. Tous peuvent jouer dans des spectacles. Certains sont en mesure d’assurer de rôles d’oppresseurs, certains peuvent se lancer dans le jokage ou , et la mise en scène. Pour mener des ateliers avec des habitants , il serait important de continuer à échanger avec eux car 30 h ne suffisent pas à se lancer quelque soit le contexte. D’autre part, l’association martiniquaise qui parraine initiative’eco est passé et serait intéressée pour que Nage travaille avec eux sur « les violences faites aux femmes » ; Affaire à suivre !

Nota Nous avons appris que les participants ont créé un spectacle sur les violences faites aux femmes et qu’ils l’ont joué et mis en forum. Bravo à eux.

 

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