La culture, c’est ce qui fait lien entre les humains.
Le politique, c’est le contrat qui les lie.
Notre outil est la méthode du Théâtre de l’Opprimé, inventée au Brésil par Augusto Boal dans les années 1960.
NAJE fonctionne comme un lieu de culture inventant avec des partenaires multiples, leur apportant une oeuvre artistique et un savoir-faire ; ainsi, la méthode du Théâtre de l’Opprimé permet que se mette en place une interaction entre les personnes et la société. Il ne s’agit pas de prendre seulement la parole, il s’agit de transformer la réalité, donc de se transformer soi-même mais aussi de permettre à une société de se transformer.
La compagnie NAJE pratique le Théâtre de l’Opprimé à travers quatre outils principaux : les jeux, le théâtre-images et le théâtre-forum et les techniques introspectives.
Ces outils sont parfois combinés avec des outils venus d’ailleurs pour l’analyse de la pratique, la prise de parole en public, le travail avec des publics particuliers…
1/ Les jeux de la méthode Augusto Boal
Indications générales sur les jeux :
Les jeux visent à constituer le groupe, à établir la confiance et le non jugement entre ses membres, à permettre à chacun de prendre confiance en ses propres capacités à penser, s’exprimer, agir et créer.
Certains jeux peuvent être utilisés comme des laboratoires d’investigation sur un sujet donné.
Chaque jeu n’est pas dédié à un seul objectif mais à plusieurs ce qui est le propre du jeu
(Par exemple l’espace stop est un jeu de constitution du groupe permettant de rompre très vite la glace et d’échanger ou de trouver des points communs entre des personnes issus de milieux différents il peut être utilisé aussi pour redynamiser un groupe ou encore pour approcher un thème de travail et l’aborder sous des angles différents, il peut aussi être un lieu de travail du groupe sur lui même et ses fonctionnements si les items des questions et propositions de l’animatrice sont orientées vers ce but avec l’accord du groupe…Seule leur connaissance et leur pratique permettra à ceux qui les dirigent d’en aménager les consignes et la présentation pour les utiliser vers un objectif ou un autre).
Ils peuvent tous être pratiqués par tout le monde et de nombreuses fois sans lassitude puisque chaque expérimentation apportera des choses différentes.
Les jeux sont essentiellement axés sur la relation et les interactions entre les personnes pour les développer, les ouvrir ou les dé-ritualiser.
Les jeux ne font en aucun cas appel à la compétition. Il n’y a pas de réussite ni d’échec.
La pratique des jeux aide à mettre tous les participants à égalité (ceux qui savent bien parler et ceux qui ne savant pas par exemple ou ceux qui ont un statut social reconnu et ceux qui ont un statut social dévalorisé)
2/ Le théâtre-forum
Le théâtre-forum peut être utilisé au sein d’un groupe pour lui permettre de mener son investigation. Il peut aussi être utilisé avec un public nombreux ou pour porter au débat public une problématique ou les résultats de travail d’un groupe ou encore pour rendre compte aux décideurs et débattre avec eux.
1. Indication générales sur le théâtre-forum
Le théâtre s’attache à la mise en travail d’une problématique précise ou de plusieurs, Il sert à décoder les enjeux d’une situation, à imaginer des pistes de solutions, vérifier leur faisabilité, les conditions dans lesquelles elles peuvent être concrétisées et les conséquences positives et négatives de leur mise en oeuvre.
Le théâtre-forum est un moyen de permettre l’expression de tous et des situations vécues par les personnes et est à ce titre là un moyen de mener enquête sur une réalité mais il permet aussi à un groupe de passer de la situation individuelle traitée à la problématique générale (la situation individuelle une fois relatée devient un matériau dont le groupe se saisit et qu’il va transformer).
Le théâtre-forum permet un échange direct qui décentre des idéologies et des interprétations de chacun et permet à un groupe de se mettre d’accord sur le sens au delà des mots qui n’ont pas le même sens pour tout le monde.`
Il est concerné par la chose concrète et est donc accessible à tous y compris aux personnes qui ont des niveaux d’étude très faibles.
2. Fonctionnement et application
Le recueil des récits de situations concrètes vécues par les participants.
Il se fait selon les cas soit en récits faits devant le groupe, soit en « copilotage » c’est à dire deux par deux selon des modalités précises (voir explication dans la dernière partie du dossier jeux de la méthode Augusto Boal) soit encore par l’utilisation de premières images produites dans le groupe suscitant des récits par pensée analogique (voir dans le dossier théâtre-images).
Le choix par le groupe des situations qu’il met en travail et de celles qu’il écarte pour un temps ou définitivement.
Cette phase est très importante car elle participe des mécanismes permettant de passer de l’histoire singulière à la problématique sociale.
L’improvisation de la situation concrète par le groupe.
Elle se fait au départ sous la direction de celui qui a relaté la situation puis progressivement le groupe va s’emparer de l’histoire et de sa mise en scène pour la tirer du coté du social et lui enlever les caractérisations psychologiques ou les faits non significatifs vis à vis de la problématique traitée à travers de la situation concrète.
Ce travail du groupe pour improviser et mettre en scène la situation va l’amener à faire des choix, donc à devoir analyser la question même que la situation pose, à en clarifier les enjeux, à préciser les volontés et contre volontés des personnages et celles du groupe qui met en scène, à vérifier la cohérence des faits…
L’élargissement
Le travail du groupe passera aussi par une phase d’élargissement des improvisations, de confrontation des diverses histoires des participants et de leurs improvisations, derecherche des similarités et des différences…C’est ce qui permettra l’ascèse qui consiste à passer de l’histoire singulière à la problématique générale.
Le Forum
Une fois mis en scène et joué, le modèle initial est expérimenté au sein du groupe : les personnages protagonistes sont tour à tour remplacés par ceux et celles qui veulent y tenter une action transformatrice.
Les acteurs du modèle initial qui restent en scène vont réagir à cette action au plus près de la réalité et tenter d’en dévoiler les conséquences à leurs différents niveaux
Les interventions des “spectateurs” se succèdent, soit en écho et en prolongement les unes des autres, soit explorant d’autres pistes pour tirer la situation de départ dans tous les sens possibles et explorer tous les enjeux qu’elle renferme et sur lesquels on peut agir. Ainsi, au fil des explorations, des pistes d’actions concrètes sont élaborées, requestionnées, écartées ou retenues selon leur capacité à être concrétisées hors du théâtre ou non.
3/ Le théâtre-images
dans le cadre d’un travail avec un groupe
Le théâtre images est une méthode qui peut être utilisée pour travailler avec un groupe sur un sujet précis (voire sur son propre fonctionnement de groupe) ou pour consulter ou sensibiliser le public dans la rue ou en salle. Nous ne traitons ici que de son utilisation dans le cadre de l’investigation d’une thématique par un groupe.
Le théâtre-image est une technique théâtrale intéressante à plusieurs titres :
- Elle est très simple à utiliser et permet d’entrer très vite dans le coeur d’un sujet.
- Elle ne demande aucun moyen technique.
- Elle utilise peu d’éléments de la langue parlée.
- Elle est très productrice en terme d’analyse et pour faire émerger la parole.
- Elle permet un travail immédiatement collectif.
- Elle mêle les émotions, le corps et l’analyse intellectuelle et permet ainsi d’investir les personnes sans les couper d’une partie d’elles-mêmes.
Trois exemples pour se faire une idée de ce qu’est le théâtre-images et de comment l’on peut l’utiliser
(Mes trois exemples sont évidemment restrictifs et ne parcourent qu’une petite partie de la manière dont vous pouvez utiliser le théâtre-images. Ils sont là juste pour vous permettre de vous faire des images justement).
- Nous intervenons souvent avec une image que nous avons construit nous mêmes et qui va servir de base à la recherche de comment intervenir pour modifier les choses. Par exemple une image construite avec quatre personnages : un homme main levée va frapper une femme tête baissée à laquelle est accrochée un enfant apeuré. Le quatrième personnage est un témoin, il a l’air choqué et n’intervient pas concrètement. C’est ce personnage là que nous proposons de remplacer pour se positionner dans une attitude physique qui dit l’action qu’il propose de mener. L’on parle sur chacun des différents modes d’intervention qui sont proposés par les participants. Après une dizaine de propositions différentes l’on stoppe le travail et l’on demande à ceux qui ont été les personnages de l’histoire de dire ce qu’ils ont senti lors des différentes interventions.
- Lors d’un travail fait pour l’ONPES sur une recherche de critères de pauvreté, il s’agissait de commencer par définir ce qu’est la pauvreté pour les participants du groupe. Nous leur avons demandé de produire en petits groupes chacun.e une image de ce qu’est la pauvreté selon elleux en 5 minutes. Tous les participant.es ont donc construit leur propre image. Ensuite nous les avons toutes regardées les une après les autres en parlant sur elles, en en commençant l’analyse, en croisant les différentes visions des un.es et des autres, les différents plans de la réalité qui apparaissaient (l’espace public, le logement, le travail, la santé, la violence, le manque, la demande, la relation entre ceux qui ont et celleux qui n’ont pas, le rapport aux institutions, les relations entre enfants et parents, l’état mental, l’état physique …). Ce temps de travail était introductif et a duré 3/4 d’heures au total, temps de parole compris. Il était une manière d’entrer de plein pied dans le sujet, de permettre aux participants d’échanger, de se rencontrer et de commencer notre investigation.
- Lors d’un travail mené pour le Conseil Général du Doubs avec des allocataires du RMI et des travailleurs sociaux, nous avons demandé aux travailleurs sociaux de faire des images à partir de situations concrètes qu’ils avaient vécu les plus enrichissantes ou positives et les plus terribles. Nous avons demandé la même chose aux bénéficiaires du RMI. Ensuite nous avons passé le reste de la journée à travailler sur les images produites par l’un et l’autre groupe, à les analyser, à les mettre en confrontation les unes avec les autres…. A faire en sorte que les deux groupes travaillent ensemble et trouvent leur cohérence sur la question de la relation des intervenants sociaux et des « usagers » du service social, ce qu’elle produit, ce que l’on voudrait produire et comment l’on pourrait aller vers cela, les freins et les contraintes, les ouvertures…
Comment se construit une image :
Dans le groupe, la personne qui construit son image va choisir les personnes du groupe dont elle a besoin et modeler – sans parler – chaque personne, pour lui donner une attitude physique et l’expression du visage.
L’ensemble des personnes sculptées constitue une scène, ou une image immobile, et donc durable. Généralement, celui – ou celle – qui mène le travail demande au sculpteur de prendre sa place dans l’image : ainsi son point de vue, au sens propre du terme, est signifié en même temps que sa représentation.
Ce travail devient alors collectif, car soit le groupe créera d’autres images en complément ou en opposition, soit il travaillera sur l’image qui vient d’être faite selon différentes propositions en fonction du travail à réaliser /
Nous avons un bon nombre de techniques pour mettre en travail une image : pour parler sur l’image, pour l’animer et enfin pour la transformer.
Le théâtre-image ne se pratique pas sans aucune parole mais la parole peut y avoir un vocabulaire restreint ; elle ne sert pas à s’exprimer, mais seulement à caractériser le champ d’interprétation des images ou à donner des consignes simples.
Le théâtre -image permet de sortir de la convention des mots et donc de ce qu’ils cachent.
Le mot « démocratie » par exemple, fait pour chacun référence à des choses très différentes, mais non exprimées ; alors que faire des images sur la démocratie peut amener à produire des images allant de la symbolique du pouvoir … à la distribution équitable de nourriture.
Le théâtre -image donne également à chacun le sentiment de la richesse du collectif : ayant besoin du corps des autres pour construire son image, il devient à son tour matière de l’expression des autres. Et chacun perçoit très vite que c’est le croisement des représentations du groupe qui permet de cerner la question, éventuellement avec des divergences de vues.
Nous appelons cette technique : « Théâtre-image » parce qu’une personne ou un groupe, avec des corps immobiles mais vivants et expressifs, met en scène – ici et maintenant – sa propre représentation d’un quelque chose qui a à voir avec l’Humain.
Une fois l’image créée, il va s’agir de la mettre en travail.
Nous avons des techniques pour parler sur l’image, pour l’animer et pour chercher comment la transformer.
4/ les techniques introspectives
Tout au long des années de pratique du Théâtre de l’Opprimé, nous nous sommes interrogé.e.s, avec Augusto Boal, sur l’intériorisation de l’oppression et comment lutter contre : nous rencontrons directement des interdits, et des personnes qui ont autorité pour les faire respecter, mais il y a beaucoup d’actions que nous nous interdisons sans qu’elles soient explicitement interdites, ou sans qu’il y ait quelqu’un pour faire respecter l’interdit.
L’exercice de la liberté de chacun.e suppose sa capacité à transgresser la loi, si cela lui est nécessaire, en connaissance de cause sur ce qu’il ou elle risque, et à dépasser les interdits socioculturels, si c’est son désir ou son besoin, là encore en appréciant justement les risques à leurs justes valeurs, et non à leurs valeurs supposées ou fantasmées.
Les techniques introspectives du Théâtre de l’Opprimé se situent exactement à cet endroit : là où une personne soupçonne qu’il y a en elle quelque chose qui brouille sa vision du monde et l’empêche de choisir entre les alternatives qui s’offrent à elle, du genre « Je connais la solution mais elle m’est “interdite” », ou bien « Je connais plusieurs solutions mais je n’arrive pas à me positionner entre tous mes désirs contradictoires », ou encore « Je ne visualise pas ce que représente chaque possible en terme de choix de vie, de relation aux autres, et en choix d’avenir ».
Les techniques introspectives sont un moyen pour mettre le groupe au service de la personne afin de lui permettre de remettre du mouvement volontaire là ou elle se sent paralysée ou manipulée.
Naissance de la première des techniques introspectives :
Un jour, lors d’un stage du Théâtre de l’Opprimé dirigé par Augusto Boal, une des participantes raconte une his- toire d’oppression dans son couple. Le groupe, qui comprend beaucoup de femmes, monte la scène, puis fait un beau forum : il y a au moins cinq ou six propositions vrai- ment intéressantes. Comme ce temps de travail était vraiment tourné vers l’histoire particulière de cette femme (temps qu’Augusto appelle « brisons l’oppression »), il lui demande à la fin du forum si ça va pour elle et ce qu’elle en retient : moyen de redonner la parole à l’opprimé·e sur sa propre histoire et de gratifier le groupe pour son inves- tissement. Elle fait alors une réponse très minutieuse : si les deux premières propositions ne l’intéressent pas idéologiquement, elle trouve les trois autres non seulement intéressantes… mais possiblement gagnantes même, vraiment très bien… Toutefois, elle ne s’imagine pas les mettre en œuvre : cela lui est totalement impossible. C’est la confiance d’Augusto dans l’opprimé·e qui lui permet alors de prendre en considération cette réponse, de ne pas la banaliser au nom d’une possible incompétence.
Si l’opprimé·e qui veut vraiment quelque chose n’arrive pas à faire ce avec quoi il ou elle est profondément d’accord, c’est que l’oppression est intériorisée : c’est que les flics sont entrés à l’intérieur de lui. Ces « flics », ce sont tous les interdits sociaux que des personnes bien ou mal intentionnées ont déposés en nous depuis notre naissance. Augusto va élaborer une technique, « les flics dans la tête », utilisable par toute per- sonne qui voudrait comme cette femme faire quelque chose, mais qui se l’interdit. Avec la collaboration du groupe, car ces flics sont des entités politiques, elle va les mettre en scène, les identifier et construire des outils de lutte contre eux.
D’autres techniques suivront : l’arc-en-ciel du désir, l’image analytique, l’image-écran, le futur qu’on craint, les rituels et les masques, etc. Toutes ces techniques, qu’Augusto appellera « techniques introspectives », seront construites sur cette même exigence : que l’opprimé·e puisse librement se construire, se choisir, s’assumer dans ses actions ou dans ses interactions avec les autres.

