D’une participante anonyme à propos de la mise en place d’une norme européenne pour les jouets

Dans le cadre de notre chantier sur les normes, le 10 novembre 2013, l’une des participantes nous a raconté une situation concrète pour que nous la mettions en scène. 
En voici le résumé.
 

Je travaillais au ministère de la Santé sur les intoxications au plomb sur les enfants : le saturnisme. Je devais essayer de trouver des moyens concrets à travers l’écriture de règlementations.

Il y avait beaucoup de travail, et les ordres arrivaient souvent de différents endroits.

Un jour, un fax arrive sur mon bureau, sans que je ne sache qui l’y a mis. Je découvre qu’il va y avoir une renégociation d’une directive sur la sécurité des jouets : on va faire des normes pour qu’il n’y ait pas de produits toxiques dans les jouets.

Quand des fax comme cela arrivent, on peut les prendre en compte ou non. Moi je décide de consacrer du temps à cette question qui me paraît importante, sans être certaine d’être soutenue par mes supérieurs.

Je passe des coups de fils à d’autres ministères pour entrer dans la boucle. J’essaye d’avoir le texte du projet de directive, je cherche qui a négocié pour la France la directive précédente.

Je m’aperçois que les trois places de la France pour les négociations européennes sont déjà attribuées et que le ministère de la Santé n’est pas présent dans les négociations. Il y a une représentante du ministère de l’Industrie, une autre de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), et un représentant du ministère du Commerce. Lors de mon premier coup de fil de contact avec la représentante du ministère du Commerce, elle me prévient que cela fait dix ans qu’elle est sur ce sujet et qu’il n’est pas question pour elle de me laisser sa place.

Quand la France négocie une directive, c’est le SGAE, un service du premier ministre, qui décide quel ministère sera en charge de ce travail.

Je téléphone donc au SGAE pour  demander à assister aux réunions concernant cette directive. Le SGAE me met donc parmi les membres de la commission. .

Lors de cette réunion, je m’aperçois très vite que tout le monde se connait et que tout est déjà décidé.

J’avais travaillé le sujet qui me tenait à cœur et j’expose une situation qui a fait beaucoup de bruit au Canada. Une entreprise offrait un petit jouet en plomb pour l’achat d’une paire de baskets. Un enfant a avalé ce jouet et s’est retrouvé aux urgences. Mais les médecins n’ont pas réussi à identifier la nature de l’intoxication de l’enfant, et il est mort. Cinq années plus tard, l’entreprise est déclarée responsable de la mort de l’enfant. Après avoir exposé ce cas, j’explique qu’il faudrait faire en sorte que le plomb soit totalement absent des jouets destinés aux enfants.

Mais l’accueil est plus que froid. On me répond qu’imposer ce genre de normes génèrerait du chômage, que ça coûterait bien trop cher aux industriels et qu’on ne peut pas leur imposer cela. La répression des fraudes met en avant les difficultés de mesure. Quant au ministère du Commerce, il veut ménager la Chine, ne pas risquer d’ébranler les relations commerciales avec ce pays.

Cette réunion se déroule en visioconférence avec les fonctionnaires de la Commission européenne, mais personne ne réagit.

A la fin de la réunion, une personne de la SGAE vient me voir en aparté et me dit que j’ai soulevé des enjeux importants. Elle m’explique le mode d’emploi de ce genre de réunion : il faut que j’obtienne le soutien du cabinet de mon ministère. J’appends que c’est comme ça que les choses se passent.

(cette réunion m’aura ainsi appris qu’il y a aussi des normes comportementales… )

Mais le gros problème que je rencontre, c’est qu’il y a au moins 5 ou 6 couches hiérarchiques entre le cabinet et moi. Or, il me reste seulement une semaine avant la réunion suivante.

Je prends contact avec une chef qui n’est pas la mienne (le mien n’a pas d’intérêt pour ce sujet) et qui s’occupe des produits chimiques. Elle s’empare de ce sujet avec moi. Nous n’aurons pas le temps d’avoir le soutien du cabinet du ministère de la Santé… mais cette chef, au fil du temps, réussira à faire avancer les choses. En tous cas pour cette directive-là ! Si je n’avais pas lu attentivement ce fax, personne au ministère de la Santé n’aurait pris en charge ce dossier.

 

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