retours de participant-es des chantiers nationaux lors de l’anniversaire des 20 ans de NAJE le 25 11 2017

ARLETTE

Je suis à NAJE depuis bien longtemps. Je fais partie des meubles si on peut dire. C’est Fabienne et Jean Paul qui m’ont proposé de faire partie du chantier après notre rencontre à Marseille au cours d’un atelier avec des policiers. C’était dans le centre social dont je suis vice-présidente. Faire du théâtre dans un centre social, c’était normal…, mais que moi j’en fasse …! Le théâtre m’a aidé à sortir les mots. Avant, c’était difficile de m’exprimer. Je coupais la parole à tout le monde, je n’écoutais pas, les mots que je sortais ne voulaient rien dire. Avec les chantiers nationaux de NAJE, j’ai rencontré beaucoup de gens, des gens différents de moi, que je n’aurais pas connu sans les chantiers.  Alors j’ai aussi appris à écouter. C’est important de savoir parler, pour oser taper aux portes, pour défendre ce en quoi on croit.

ÉVELYNE

C’était pendant un stage de techniques introspectives de Naje. J’avais voulu jouer mon histoire en théâtre forum. Je vivais une période compliquée avec ma mère qui perdait chaque jour en autonomie et je n’arrivais pas à lui faire comprendre qu’elle devait arrêter de conduire sa voiture à 90 ans passés. Alors je me mets à jouer ma mère. Jean-Paul joue mon rôle. Moi, je l’entends dire d’un coup : « Alors, si tu tiens à moi, tu me donnes les clés. C’est la voiture ou moi ! » Eh bien, croyez-moi ou pas, sur le coup, ça a été très violent… J’ai continué à aller voir ma mère toutes les semaines et les choses ont fini par faire leur chemin, tant et si bien qu’un jour, peut-être trois semaines après ma scène de théâtre forum, j’ai pris le trousseau de clés de ma mère et … j’ai eu le courage de les lui confisquer. Eh bien, ça, pour moi, c’est un peu de la magie de Naje qui m’a aidée à prendre une décision importante à un moment de ma vie où je me sentais fragile.

SOPHIE

ça commence en petit groupe, j’y suis invitée, je livre ma voix faible, elle peine à sortir. Une comédienne s’en saisi, l’écrit, m’en décharge. J’ai passé le témoin. Devant le groupe entier, submergée par l’émotion, je ne parviens pas à dire à nouveau. La comédienne  me relaie et parle à ma place ; ma voix, amplifiée, n’est plus la mienne. Puis, reformulée, elle sera incorporée sur scène. De bouches à corps, ma voix a été transportée, déployée. Elle a pris une dimension, politique, pendant le spectacle sur les normes. C’est une des scènes du spectacle sur la famille, une voix grave m’a été confiée, elle m’accable. Mais encouragée par la compagnie, guidée par les comédiens, je suis parvenue à la faire entendre en la clamant, à la faire exister. A mon tour, je suis devenue un porte voix.

MURIEL

 Quand j’ai commencé mon 1er chantier à NAJE, il y a environ  6 ans, je travaillais au Conseil départemental du 93, qui était en pleine conversion managériale, dit autrement je bossais dans un service public qui se réorganisait en entreprise privée ! Au service social, on était en rébellion : grèves, boycott des statistiques, débrayages… Et NAJE préparait justement un spectacle sur le démantèlement des services publics. C’était super de pouvoir mettre en scène ce que l’on subit et ce qui se répercute sur les personnes qu’on est censé accompagner. C’était chouette de chercher des pistes de résistance. NAJE m’a permis de retrouver du sens, de prendre de l’assurance, ce qui est très bien quand on doit négocier avec des élus et des chefs. C’était une bouffée d’oxygène, presque vitale vu l’absurdité, la folie évaluatrice, les protocoles qui m’étouffaient. Ca m’a aussi permis d’utiliser le théâtre dans un cadre syndical en jouant par exemple des petites saynètes pour dénoncer les effets du MANAGE-MENT, démonter les mécanismes mis en place pour nous asservir. Peut-être que NAJE a aussi participé à me faire cheminer et à prendre certaines décisions comme celle de reprendre mon vrai métier d’assistante sociale dans un secteur ou l’humain prime encore sur la gestion. Ce que NAJE continue de m’apporter, ce sont des rencontres, de l’enrichissement. Le plaisir de réaliser de belles choses collectivement.

DOMINIQUE

Scotchée je suis restée …..

SCOTCHÉE 

 

à la fin du documentaire…

J’ai osé le faire 

j´ai appelé le numéro 

Ben oui  c´est  bien elle 

qui m’  a répondu naturelle 

 

Des histoires intenses qui m’ont marquée 

Avec chacun de vous je pourrai en conter 

 

Mais J’ai choisi 

 

Ce jour de stage à la reine blanche 

Les techniques introspectives 

Ma mémoire en est vive : 

 

j’évoque mon histoire

Complexe qui dure … 

L’animateur dit …de lui assez sûr 

 

« Est ce là la  seule ambition

De vouloir de cette situation 

La mettre dans une case morale 

Si tu t’imposes ce vécu 

ça devient sans issue ….

Ben c’est fatal ….

 

J’ai pris conscience ce jour 

Que mêmes les engagements d’amour 

Sont des réalités politiques 

 

Un peu plus tard

je joue le rôle de sa mère 

Allongée par terre 

Lui c’est le protagoniste 

je suis morte ….. réaliste 

Il tremble mon corps 

Je vis la mort 

J’ai tellement froid 

personne ne me voit 

mais je vous dis moi

 j’entends tout …. 

je ressens tout …..

De ce corps froid 

enfin je peux mot dire

Et vraiment le lire 

Que le protagoniste m’entend 

C’est son visage ! Il se détend ……

Tout transformé 

Et là mon corps connecté 

De près Écoutė me dit 

D’aller vite le faire soigner 

 

Avec NAJE je n’abandonne pas l’espoir 

 

RENEE

Quand j’ai pris ma plume je me suis dit : « Que vas-tu écrire que tu n’aie déjà dit ?! ». Et tout à coup une idée de génie me traversa l’esprit. NAJE ! NAJE ! NAJE ! Pour moi tout un programme. Au tout début, il y 14 ans, j’allais vers l’inconnu, un peu intimidée – eh oui tout arrive – mais Mathieu m’a pris la main et m’a dit : « viens ». Ensuite, Marie France, lors d’un jeu, m’a entraînée et nous avons valsé pour nous dire combien l’une et l’autre nous nous trouvions belles. Depuis de l’eau est passée sous les ponts ; il y a eu des peurs et des grincements de dent, des rires aussi, des fêtes – même si à mon goût il n’y en aura jamais assez ! Et s’il fallait choisir un chantier qui m’a remuée jusqu’au delà de mes tripes, j’opterai pour « Les Invisibles ». A chaque fois que je rentrais sur Angers, j’étais en larmes. Et à chaque fois, je retournais à Paris, et rebelote, et rebelote. Jusqu’au jour où, j’étais en train de chanter, et j’ai fondu en larmes sans raison apparente. Et là je me suis dit : « T’es devenue maso ma vieille ! Il faut te faire soigner ! » Mais j’ai tenu bon et j’ai été au bout du chantier. Tout ça pour vous dire que j’adore NAJE et que je pourrais vous en parler pendant des heures et des heures. Sachez que j’ai un cœur d’artichaut, une feuille pour tout le monde, et que toutes ses feuilles sont à l’abri bien au chaud dans mon jardin secret, à l’ombre d’un grand chêne, à regarder les feuilles à l’envers. J’irai au bout du monde avec NAJE ! Sachez aussi que je ferais le tour du monde si on me le demandait…… mais ce serai un peu long ……Non!!!!!!

MARYSA

Je me souviens du texte du cerisier, que je disais en détimbrant, impuissante à m’en empêcher… Ben oui, Mouss ! ben oui, Jean-Paul !

Je revivais le cerisier-refuge de mes 9 ans…

 

Quand même y m’avaient bien dressée,

les quatre du gang du sacrifice,

l’oncle-prestige, la mère complice,

le frère vengeur,le père cassé…

 

Gazé en 15, çà, c’est le grand-père

A cause des gaz, il viole sa femme,

ma mère, puis moi, on récupère,

Elle le rejet, moi, le secret…

 

Au fond la vie, j’étais pas contre !

Mais comment naitre, ma mère me veut

Pour elle toute seule, pour s’faire renaitre,

une pour deux, ma vie en creux…

 

9 ans se passent, grand-frère d’jouer,

Au père, au flic et au colon,

Il vise sur tout ce qui a un con,

la bonne le jette,…petite sœur paie…

 

Ma-nine, qu’y m’avaient appelée,

J’me sens bien que dans les arbres,

je ne sais même pas que j’ai oublié

Comment penser prendre les armes,

 

Douze ans plus tard, l’oncle dirige

Son doigt de tueur, essai marqué !

Ce qu’il me fait, ma mère le sait !

l’avant, l’après, se brouillent, se figent…

 

J’suis la baudruche coincée sous le pack,

A étouffer dans l’air vicié,

Mise en exil, je creuse mes traques,

Et tisse mon identité

 

La famille NAJE m’a bien aidée

A raccorder l’encore relié

en rajoutant l’humanité

Envers et contre tous les dénis,

elle m’a offert un vrai beau nid

 

en me r’mettant dans le cours du temps

de plus en plus vitalement,

je peux crier ,et on comprend,

au nom de millions d’enfants,

piégés par des parents en transe,

 

le viol, ç

​a​

tue en différé !le viol, ç

​a​

tue si tu te tais !

MARIE THERESE

Je me souviens de ma 1ère rencontre avec NAJE. C’était autour du spectacle de fin de « chantier annuel », avec une manif des opposants à l’ouverture de Notre Dame des Landes. J’y renifle encore l’énergie qui a débordé de la scène pour monter dans les gradins de la Parole errante. J’y vois encore Renée face à moi, auprès d’autres, poing levé, bouche édentée, gueulant des mots d’ordre contre la répression policière. On y lâchait rien ! On ne lâcherait rien. Frémissements émotionnels d’épiderme. J’ai envie de gueuler avec eux. Uppercut au cœur. Je ne découvre pas le « théâtre de l’opprimé », non ; vieille de la vieille syndicaliste à la CFDT des années 1070-80, puis SUDiste aux PTT et à Bercy, j’ai déjà croise ce théâtre là qui nous était très proche à Paris, rue du Charolais notamment. Ce théâtre faisait Forum avec des expériences vécues, jouées et proposées aux alternatives des spectateurs. NAJE aussi fait du « théatre-forum »… Mais le chantier c’est pas pareil. 50, 60, 70 personnes de toutes origines et conditions mises en scène dans une création partagée, c’est pas pareil ! L’énergie que ça demande et que cà développe et qui exhale en exaltant les spectateurs le jour J, c’est pas pareil. Du théâtre j’en ai toujours fait : gamine, à l’école, avec l’amicale laïque et la paroisse du village (rires), adulte avec la Compagnie du Message de théâtre amateur aux PTT… Et plus récemment à Montreuil. Mais ce jour-là, à la Parole errante, ce ne fut pas la même chose. Ce jour-là, j’ai rencontré le théâtre qu’il me fallait. Le théâtre qui me permettrait de réconcilier mes engagements, ma militance et le jeu à partir de faits, de la réalité des uns et des autres, de nos histoires d’opprimés à nous, notre vécu, notre seul capital. Alors j’ai rejoint le chantier. J’ai pris mon drapeau et je suis venue le déposer au centre d’un cercle comme un objet, fanion ou étendard, à offrir au plus grand nombre. Je me suis souvenue du 10 octobre 1995, 1er jour du mouvement social de novembre-décembre. Plus tard, j’ai joué cette scène dans un chantier annuel : un objet parmi d’autres qui se souvenait de ses jours glorieux autour du thème du TRAVAIL. En fait, ma rencontre avec NAJE, c’est comme si une part de moi s’était réconciliée avec elle-même, rebelle mais assumée dans l’en dedans du ventre de la scène, comme au-dehors dans le théâtre bien réel des conflits sociaux, de la lutte des classes qui s’immisce dans les interstices du quotidien. NAJE quelque part, ça transforme, ça fait grandir… Et, peut-être bien que ça place chacun-e dans une nouvelle vague, celle de son propre essor dans une combativité collective dont les ressorts restent encore à trouver. A chacun-e-, avec son petit carreau d’âme, sa couleur et sa spécificité d’y mettre le sien et du sien dans le nouveau drapeau de la collectivité et le spectacle d’une société qui vibre, bouge et n’a pas l’intention de s’en laisser compter !

CLAUDINE

« – Prêts pour la photo… ? » Ce sera notre souvenir du chantier  » les Bâtisseurs  « 

« – ouistiti …vous êtes prêts ? on ne bouge plus ! »
Ce jour- là Armand Gatti était parmi nous ; il nous a remercié pour notre spectacle et avec un beau sourire il a  ajouté :  » Vous êtes notre Rose Blanche   » ! Quel honneur d’avoir reçu ce qualificatif, celui de ce groupe de résistants allemands qui a tenu tête au nazisme pendant la Seconde Guerre Mondiale ; une comparaison qui aujourd’hui résonne en moi comme un encouragement à ne jamais abandonner. Ce soir, en mémoire de tous les chantiers, je voulais avoir une pensée pour Armand Gatti, et le remercier de nous avoir offert ce lieu à Montreuil, la Parole Errante.

NICOLAS

En travaillant avec cette compagnie, je découvre une continuité entre ma vie antérieure d’avocat – je participais avec l’Institution judiciaire à la « manifestation de la vérité » – et mon désir d’écrire et de représenter autre chose que des conclusions juridiques. Dans ma profession d’avocat, il s’agissait de défendre ceux dont on ne parle jamais, ou mal, voire en mal.

Ces histoires vraies que je réclame par le théâtre de l’opprimé, ce sont donc des histoires de rencontre. Si j’écris une scène, je veux savoir pour qui je l’écris; quand je joue une scène, je veux savoir qui je défends. Même si le spectateur ne le sait pas, ça n’a pas d’importance. La scène devient une arène où l’on défend la vérité d’une personne qu’on a rencontrée, qu’on a reconnue, qui se reconnaît… ou se reconnaîtra.

La force des histoire vraies, c’est alors la force des rencontres, avec ceux qu’on ne voit pas ou qu’on ne voit plus, qu’on ne veut pas voir, au point qu’eux-mêmes ne veulent plus se voir.

La force des histoires vraies c’est ainsi la force de se réunir pour changer ce que nous n’aimons pas, ce que nous ne voulons pas voir prospérer ; c’est aussi la possibilité collective d’être des chroniqueurs infinis des luttes dont nous sommes témoins et acteurs, tout à la fois intimes et universelles.

La force des histoires vraies, c’est aussi la force de se dire soi-même, de s’avouer faible et vulnérable, de s’avouer bon comme mauvais, de mettre à nu son âme, pour combattre la stratégie bourgeoise du faux, dénoncée par Roland Barthes en son temps, une stratégie qui vise à dissimuler la douleur des opprimés sous les faux-nez de la gaudriole, pour la populace, ou de l’art pour l’art, réservé à une élite auto-proclamée.

Nos histoires sont courtes, immédiates, actives. Elles visent à produire des changements sans attendre des lendemains qui ne viendront jamais. Que nos textes soient vite oubliés, qu’importe!… s’ils ont bien servi. L’art enfin pour autre chose que lui-même. L’art comme un marteau, qui ne se voudrait rien d’autre que sa fonction pure, pour agir, faire agir, faire vivre, en enfonçant le clou, même si ça fait un peu mal.

La force des histoires vraies, c’est celle de notre dignité de femmes et d’hommes, la dignité de ceux dont nous voulons raconter les galères, les exils, les joies ou les émerveillements, la vie et la mort.

 

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