Le théâtre-images

Le théâtre-images est une méthode qui peut être utilisée pour travailler avec un groupe sur un sujet précis (voire sur son propre fonctionnement de groupe) ou pour consulter ou sensibiliser le public dans la rue ou en salle. Nous ne traitons ici que de son utilisation dans le cadre de l’investigation d’une thématique par un groupe.

1/ Indications générales

Le théâtre-images est une technique théâtrale intéressante à plusieurs titres :
– elle est très simple à utiliser et permet d’entrer très vite dans le cœur d’un sujet ;
– elle ne demande aucun moyen technique ;
– elle utilise peu d’éléments de la langue parlée ;
– elle est très productrice en terme d’analyse et pour faire émerger la parole ;
– elle permet un travail immédiatement collectif ;
– elle mêle les émotions, le corps et l’analyse intellectuelle et permet ainsi d’investir les personnes sans les couper d’une partie d’eux-mêmes.

Trois exemples pour se faire une idée de ce qu’est le théâtre-images et de comment l’on peut l’utiliser (mes trois exemples sont évidemment restrictifs et ne parcourent qu’une petite partie de la manière dont vous pouvez utiliser le théâtre-images. Ils sont là juste pour vous permettre de vous faire des images justement).

• Nous intervenons souvent avec une image que nous avons construit nous-mêmes et qui va servir de base à la recherche de comment intervenir pour modifier les choses. Par exemple, une image construite avec quatre personnages : un homme main levée va frapper une femme tête baissée à laquelle est accrochée un enfant apeuré. Le quatrième personnage est un témoin, il a l’air choqué et n’intervient pas concrètement. C’est ce personnage là que nous proposons de remplacer pour se positionner dans une attitude physique qui dit l’action qu’il propose de mener. L’on parle sur chacune des différents modes d’intervention qui sont proposés par les participants. Après une dizaine de propositions différentes l’on stoppe le travail et l’on demande à ceux qui ont été les personnages de l’histoire de dire ce qu’ils ont senti lors des différentes interventions.

• Lors d’un travail fait pour l’ONPES sur une recherche de critères de pauvreté, il s’agissait de commencer par définir ce qu’est la pauvreté pour les participants du groupe. Nous leur avons demandé de produire en petits groupes chacun une image de ce qu’est la pauvreté selon eux en 5 minutes. Tous les participants ont donc construit leur propre image. Ensuite nous les avons toutes regardées les une après les autres en parlant sur elles, en en commençant l’analyse, en croisant les différents les différentes visions des uns et des autres, les différents plans de la réalité qui apparaissaient (l’espace public, le logement, le travail, la santé, la violence, le manque, la demande, la relation entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, le rapport aux institutions, les relations entre enfants et parents, l’état mental, l’état physique …)
Ce temps de travail était introductif et a duré trois-quarts d’heure au total, temps de parole compris. Il était une manière d’entrer de plein pied dans le sujet, de permettre aux participants d’échanger, de se rencontrer et de commencer notre investigation.

• Lors d’un travail mené pour le Conseil général du Doubs avec des allocataires du RMI et des travailleurs sociaux, nous avons demandé aux travailleurs sociaux de faire des images à partir de situations concrètes qu’ils avaient vécu les plus enrichissantes ou positives et les plus terribles. Nous avons demandé la même chose aux bénéficiaires du RMI. Ensuite nous avons passé le reste de la journée à travailler sur les images produites par l’un et l’autre groupe, à les analyser, à les mettre en confrontation les unes avec les autres…. A faire en sorte que les deux groupes travaillent ensemble et trouvent leur cohérence sur la question de la relation des intervenants sociaux et des « usagers » du service social, ce qu’elle produit, ce que l’on voudrait produire et comment l’on pourrait vers cela, les freins et les contraintes, les ouvertures…

2/ Comment se construit une image
Dans le groupe, la personne qui construit son image va choisir les personnes du groupe dont elle a besoin et modeler – sans parler – chaque personne, pour lui donner une attitude physique et l’expression du visage. L’ensemble des personnes sculptées constitue une scène, ou une image immobile, et donc durable. Généralement, celui – ou celle – qui mène le travail demande au sculpteur de prendre sa place dans l’image : ainsi son point de vue, au sens propre du terme, est signifié en même temps que sa représentation.
Ce travail devient alors collectif, car soit le groupe créera d’autres images en complément ou en opposition, soit il travaillera sur l’image qui vient d’être faite selon différentes propositions en fonction du travail à réaliser :

3/ Ce que nous pouvons faire à partir d’une image : les principales techniques

• Parler sur l’image :
– « Ça me fait penser au jour où…. » (pour faire venir d’autres récits de situations de la part des autres participants et pour obtenir des situations analogiques vécues dans le groupe)
– Décrire l’image de manière très concrète (pour l’analyser, analyser les modes relationnels et les enjeux qu’elle contient)
– Interpréter l’image et croiser les différentes interprétations.

• Mettre en travail une image :
– Proposer des modifications de l’image (pour la rendre plus forte ou plus précise, pour donner d’autres analyses de ce qui se joue dans la situation mise en travail, préciser les enjeux qu’il y a dans la relation entre tel ou tel élément de l’image, pour chercher sur quelle image est consensuelle dans le groupe pour traduire une réalité… )
– Animer l’image (avec des gestes répétitifs, des sons répétitifs… pour l’enrichir de nouveaux éléments.
– La pensée à voix haute pour explorer d’autres facettes de l’image produite en permettant à ses protagonistes de dire tout ce qui leur passe dans la tête en tant que personnages…
– Faire l’image d’avant, l’image d’après (les conséquences),
– Construire l’image macroscopique (c’est à dire rajouter par touches successives les personnages qui manquent dans la première image mais qui en font partie si l’on étend notre champ de vision.
– Construire l’image kaléidoscopique (les autres participants construisent leurs propres images à partir de leurs propres situations qui leur sont venues à l’esprit en regardant cette première image)
– Chercher l’image idéale : il s’agit de chercher ensemble quelle est l’image idéale de l’image en travail. Cela se fait par apport des uns et des autres. L’on cherche l’image sur laquelle tout le groupe pourrait être d’accord. Le but n’est pas de la trouver mais de la chercher, de faire émerger les différents plans de ce qui serait l’idéal, de les mettre en débat…
– Briser l’oppression : remplacer le protagoniste de l’image pour chercher comment agir pour qu’elle change et que la situation s’améliore. Le protagoniste (celui qui est remplacé est celui qui a construit l’image) fait un déplacement et un seul vers ce qu’il propose comme action. Puis les autres personnages de l’histoire font à leur tout un déplacement et en seul en réaction. puis le protagoniste fait un deuxième mouvement et ainsi de suite. Lorsque cette proposition est terminée, un deuxième participant remplace à son tour le protagoniste pour faire sa proposition et ainsi de suite.

Après un travail sur une image, qu’il soit long ou très bref selon les objectifs que l’on poursuit, on interviewe souvent les personnages antagonistes de l’histoire sur ce qu’ils sont ressenti en tant que personnages, ce qui a agi sur eux et comment…

4/ Dernières généralités sur le théâtre-images
Le théâtre-image ne se pratique pas sans aucune parole mais la parole peut y avoir un vocabulaire restreint ; elle ne sert pas à s’exprimer, mais seulement à caractériser le champ d’interprétation des images ou à donner des consignes simples.
Le théâtre-images permet de sortir de la convention des mots, et donc de ce qu’ils cachent.
Le mot « DÉMOCRATIE », par exemple, fait pour chacun référence à des choses très différentes, mais non exprimées ; alors que faire des images sur la démocratie peut amener à produire des images allant de la symbolique du pouvoir … à la distribution équitable de nourriture.
Le théâtre-images donne également à chacun le sentiment de la richesse du collectif : ayant besoin du corps des autres pour construire son image, il devient à son tour matière de l’expression des autres. Et chacun perçoit très vite que c’est le croisement des représentations du groupe qui permet de cerner la question, éventuellement avec des divergences de vues.
Nous appelons cette technique « Théâtre-images » parce qu’une personne ou un groupe, avec des corps immobiles mais vivants et expressifs, met en scène – ici et maintenant – sa propre représentation d’un quelque chose qui a à voir avec l’HUMAIN.

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