François Longerinas

Le 5 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous rencontrons François Longérinas (Pdg de la SCOP École des métiers de l’information et secrétaire national du Parti de Gauche en charge des alternatives concrètes). Il nous a parlé des scop. 
Attention notre compte rendu n’a pas été relu par François Longérinas et peut donc comporter des erreurs. 
 
Petit rappel historique
Il faut remonter au « socialisme utopique » de la fin du XVIIIe siècle (Fourier, Saint-Simon, puis Proudhon…), période avant l’industrialisation : communautés idéales basées sur la transformation sociale.
Au XIXème, pendant l’industrialisation, on se met à créer des mutuelles (« associations de secours mutuel » à l’époque), des associations, des coopératives. C’est très lié au mouvement ouvrier en France, en Allemagne et en Angleterre.
Puis, c’est la création de circuits de distribution de nourriture qui sont des coopératives de consommation et distribution en réseaux nationaux.
Mais il y a des difficultés à mettre en place les SCOP parce que certains socialistes pensent que c’est secondaire : il faut d’abord faire la révolution directe ou prendre le pouvoir par les urnes.
Aujourd’hui, il y a l’envie de travailler autrement, de réfléchir à quoi sert ce qu’on produit. Tout cela rentre dans le mouvement de l’économie sociale et solidaire. Celui comporte deux composantes :
1) Le mouvement de l’économie sociale : ce sont les coopératives et les mutuelles, qui prétendent fonctionner démocratiquement mais se sont éloignés de modes de fonctionnement démocratiques et solidaires aujourd’hui.
2) L’économie solidaire : depuis les années 1970, on a assisté à l’organisation de circuits différents, solidaires, comme les AMAP. Ce qui est produit doit être de bonne qualité et on pense aussi à la finalité. On veut faire des choses qui soient utiles à la communauté, peu importe comment on le fait.
Ainsi, certains mettent l’accent sur la démocratie (1), d’autres sur la finalité (2). Si on fait l’impasse sur une des deux valeurs, c’est mortifère. L’idéal, c’est de mêler 1 et 2, comme dans les Régies de quartier, qui sont un modèle d’économie solidaire réussie.
 
Il y a aujourd’hui plus de 2000 SCOP en France, soit entre 40 000 et 50 000 salariés (c’est difficile à comptabiliser, vu que certaines filiales de grosses SCOP ne sont pas elles-mêmes en SCOP).
Globalement l’économie sociale et solidaire, en France, c’est 10 % du salariat et 10 % du PIB.
La pérennisation de l’activité est plus forte dans les SCOP que dans les entreprises qui fonctionnent de manière « classique ». La prise de conscience est mesurée, mais de plus en plus de cadres y pensent. Beaucoup d’artisans choisissent aussi cette formule comme alternative à l’auto-entrepreneuriat.
 
Le fonctionnement des SCOP
 
C’est quoi une SCOP ?
Aujourd’hui, c’est un terme très courant, à la mode.
Aujourd’hui, cela signifie : « « Société coopérative et participative ».
A l’origine : « Société coopérative ouvrière de production ».
On a changé de nom parce que toutes les SCOP ne sont pas forcément liées à la production (il y en a qui fournissent des services).
Ce sont des entreprises qui ont un fonctionnement particulier.
 
Comment ça fonctionne ?
1) Le capital appartient majoritairement (au moins 50 %) aux salariés : ce sont eux les propriétaires de l’entreprise. Chacun a mis un peu d’argent dans l’entreprise (on ne parle pas d’ « action », on parle de « part sociale »).
2) Ce sont les salariés qui décident, en AG, ce qu’on va faire dans l’entreprise. Il peut y avoir des AG toutes les semaines. Chaque SCOP se met d’accord sur le nombre d’AG pour faire marcher l’entreprise. Chaque salarié = une voix.
3) Les bénéfices que fait l’entreprise restent aux deux-tiers dans l’entreprise. Ces deux tiers ne sont donc pas partagés. Ils restent dans l’entreprise pour garantir la solidité financière de l’entreprise (ce sont les « fonds propres »).
 
Les SCIC
Dans les les SCIC (société coopérative d’intérêt collectif), l’État, la Région, la commune peuvent entrer au capital pour participer à la vie de l’entreprise, à un niveau inférieur aux salariés, bien sûr. Exemple : ENERCOOP, qui produit de l’énergie de manière propre.
 
Autogestion et SCOP
Une SCOP n’est pas forcément auto-gérée, loin de là ! Cela signifierait que dans la vie quotidienne, on fonctionnerait de manière démocratique… Or on en est loin pour beaucoup de SCOP, qui séparent les choses entre la coopérative (gérée démocratiquement) et l’entreprise telle qu’elle fonctionne au quotidien (avec la hiérarchie, la séparation des tâches…). Mais l’idéal serait de viser cette autogestion, par exemple avec une rotation des tâches dans l’entreprise.
Le symbole de l’autogestion, c’est LIP, dont l’histoire est racontée dans le film « LIP, l’imagination au pouvoir ».
 
Nationalisation et SCOP
Faire une SCOP ou nationaliser une entreprise, comme cela a été évoqué récemment au sujet de Florange, c’est le même état d’esprit : on produit pour le bien commun. Mais nationaliser sans y investir les salariés, ça ne sert à rien !
 
Des exemples de SCOP
 
L’histoire de FRALIB (Française d’alimentation et de boissons)
Les « Fralibiens » sont en lutte depuis 780 jours contre la fermeture de leur site de production, qui était le seul en France à produire les thés Lipton et les infusions Eléphant. La production est arrêtée parce que soi-disant pas assez rentable. Unilever, maison mère de FRALIB, veut déplacer la production ailleurs.
Au départ, une seule idée pour les salariés : préserver l’emploi pour vivre.
Au bout d’un moment, ils se posent la question : est-ce qu’on ne serait pas capables de produire sans patrons ?
Un an après : si on faisait une coopérative ? Deux ans plus tôt, personne ne savait ce que c’était. Ce n’était pas dans la culture d’origine, pourtant très syndicaliste. Il faut savoir qu’il y a trente ans, c’est la CFDT qui soutenait la création des SCOP, cela n’est que récemment que la CGT s’y est mise.
Donc les salariés du site de Gémenos se rendent compte que la qualité de la production des infusions pouvait être améliorée (certains ont remarqué la présence de têtes de mort sur certains produits !). Ils se mettent donc à la recherche de produits locaux : tilleul, camomille, menthe…
En deux ans, on est face à une « révolution culturelle » : on a des militants pour créer une SCOP, et des militants écologistes avec une logique sociale pour tout le monde (seul souci : le thé doit être acheté à l’étranger). Même évolution au niveau du genre : les femmes sont de plus en plus présentes.
Sur les 182 anciens employés, 72 sont prêts à participer à l’aventure, baptisée « Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions » (Scop T.I.). Ils veulent récupérer la marque « Éléphant », qu’Unilever ne veut pas lâcher pour l’instant.
Problème : des femmes très investies dans le CHSCT (qui s’occupe de l’hygiène, de la santé, de la sécurité, des conditions de travail…) ne voulaient pas faire partie de la SCOP, parce qu’elles trouvaient qu’il y en avait qui étaient feignants. Mais elles ont fini par comprendre qu’elles aussi auront leur mot à dire. Donc maintenant elles sont OK.
 
Pour aller plus loin, articles intéressants :
Dans Le Monde du 16/11/2012 : http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/16/fralib-les-salaries-remettent-leur-projet-de-scop-au-ministre-benoit-hamon_1792135_3234.html
Dans LHumanité du 7/12/12 : http://www.humanite.fr/social-eco/les-fralib-peaufinent-leur-projet-de-cooperative-510472
Tous les articles de lHumanité sur les FRALIB : http://www.humanite.fr/mot-cle/fralib
 
L’histoire de l’EMI
 
Historiquement, a d’abord été créé il y a plus de trente ans le CFD (Centre de formation et de documentation « pour la presse associative, syndicale et différente »). Le but est de transmettre les techniques journalistiques aux associations, en travail avec les circuits d’éducation populaire comme le MRJC, la CFDT… Dans ces mouvements-là, certains voulaient devenir journalistes professionnels. Peu à peu, c’est devenu carrément une école.
Dans les années 70, ils créent le magazine « Politis » et sont à l’initiative du mouvement des radios libres.
Ils ont comme idée que, si on maîtrise les outils, on pourra maîtriser le reste de l’information.
Sous forme d’association, l’EMI fonctionne mal, et doit déposer son bilan fin 1993.
Sept salariés (sur 20) décident de la reprendre en SCOP, créée en mars 1995, en mettant leurs indemnités de licenciement au capital.
Sous forme de SCOP, ça marche mieux qu’en association, car les banques acceptent de leur prêter de l’argent à partir du moment où il y a du capital.
Depuis deux ans, les salariés ne sont pas forcément sociétaires, parce que quand c’était automatique, les gens se désintéressaient du projet. Alors que là, c’est une volonté de la part des salariés d’être sociétaires ou non, de s’investir ou non dans la SCOP.
Pour François, la SCOP est une forme transitoire.
Il y a une forte influence sur les conditions de travail : les salariés associés ont la préoccupation du bien-être de la boîte, quel que soit leur niveau dans l’entreprise.
Les salaires ne sont pas égaux, mais l’échelle des salaires est limitée : de 1 à 2.
Un problème est soulevé : le coût des formations, chères et donc pas accessibles à tout le monde. Mais pour sauver la boîte, il faut entrer dans les lois du marché. Donc on est coincé.
 
Questions posées
– Sur Marinaleda, village espagnol en autogestion. Débat sur la question par rapport au marché ? Est-ce qu’on ne va pas vers des formes d’auto-exploitation ? Comment rendre collective la démarche au quotidien ?
– La question de l’autarcie. L’autarcie ne prend pas en compte l’épuisement des ressources, ni l’inégalité des territoires. Il faut multiplier les logiques d’autogestion territoriale.
 
Pour conclure
L’essentiel, c’est de socialiser les moyens de production et les services.
Choisir une logique de coopération active contre la logique de compétition.

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