François Villeroy

En 2008, dans le cadre de notre chantier intitulé Politique, nous avons rencontré François Villeroy, alors PDG de Cetelem.

Attention notre compte rendu de son intervention n’a pas été relu par François Villeroy et peut donc comporter des erreurs d’interprétation de notre part.

 Le compte rendu

Quelques informations préalables sur le parcours de notre intervenant : François Villeroy fait l’ENA. Puis pendant 20 ans au ministère des finances – a notamment participé aux négociations sur l’€uro en tant que conseiller Europe de Pierre Bérégovoy. Ensuite, en poste à Bruxelles. A été directeur de cabinet de DSK pendant 3 ans et Directeur Général des impôts pendant 3 ans  (qui représente 80 000 personnes dans toute la France).

En 2003 on lui propose d’entrer dans le monde de l’entreprise – BNP Paris-Bas. Il dirige donc

15 000 personnes dans 20 pays (France: 6000 personnes). Cetelem vend du crédit pour aider les gens à réaliser des projets. Le surendettement dû au crédit représente 1 à 2% de leurs clients. N°1 du crédit en Europe, très présent en Amérique latine.

Cetelem participe à l’opération « Nos jeunes ont du talent » en recrutant des jeunes dans les quartiers dits difficiles. Existe aussi un système de parrainage des jeunes pendant leurs études, ils sont également suivis lors de leurs 1ers pas dans le monde du travail.

– Question: Les intérêts Cetelem et l’intérêt général: Il faut veiller à ce que l’intérêt de développement ne soit pas contradictoire avec l’intérêt général. Il est normal de payer beaucoup d’impôts quand on gagne beaucoup d’argent mais si l’entreprise paye trop d’impôt elle ira produire ailleurs ! Il faut donc un impôt mesuré.

– Je reconnais que notre organisme a lui aussi  une part de  responsabilité dans le surendettement. J’ai donc poussé au crédit responsable pour lutter contre et donne des indications très claires à mes collaborateurs pour lutter limiter au maximum les crédits qui reisquent de participer au surendettement des gens.

 Le pouvoir politique 

Je n’ai pas été un politique, je n’ai pas été élu mais j’ai travaillé avec des élus. Un élu passe du temps dans sa circonscription, rencontre les gens partout, est très pris. Il a une légitimité car il a été choisi par le peuple. Il a une fonction d’une grande honorabilité et, en ce qui me concerne, je n’ai pas rencontré d’élus qui ne soient pas des hommes intègres.

L’agenda d’un homme politique est très lourd – déplacements, réunions, travail tard sur les dossiers… environ 80 h de travail par semaine. Reste peu de temps pour soi et sa famille. Une certaine excitation peut s’ensuivre car peu de temps de sommeil et sommeil médiocre à cause du stress. On peut alors avoir la tentation de décider sans écouter – c’est plus facile, ça va plus vite !

Lorsqu’on est au pouvoir, on doit rendre service, on est au service de la décision, on doit écouter tout le monde, c’est aussi une excitation, positive celle-là.

Un homme politique est un personnage public. A ce titre, il est sans cesse sous les feux de la rampe, soumis au jugement public tous les matins dans la presse – ce n’est pas du tout facile de faire avec cela, d’être soumis au jugement  public tous les matins.

– Expérience : Fin 96 à Dublin, 15 ministres des finances autour de la table pour voter le pacte de stabilité. Tension entre la France et l’Allemagne. Travail de 16h à 1h du matin. Echec dans les négociations. Les ministres décident d’annoncer l’échec à la presse qui attend dehors. Le ministre anglais (pourtant moins concerné que les autres) prend la parole :  » on n’a pas le droit de faire ça en tant qu’homme politique. On est fatigués mais on a encore quelques heures devant nous ». Du coup tout le monde s’est remis au boulot ! C’est aussi cela le travail des élus, penser d’abord à l’intérêt général.

– De tous les hommes politiques avec qui j’ai travaillé, j’ai constaté quelques « manquements ou erreurs humaines » mais pas de franchissement d’une ligne rouge.

Négociations droit du travail

En 1997, Jospin et Martine Aubry ont décidé des 35h, ce qui a été une modification très importante pour les entreprises. Les négociations se sont déroulées avec notamment Nicole Nota (CFDT) et Jean Gandois (CNPF – ancien MEDEF). En 4 mois l’affaire a été réglée – les syndicats étant pour, les patrons contre. Une 1ère loi est créée pour une période d’expérimentation, une 2nde pour imposer les 35h dans les entreprises de plus de 20 employés en 1999. Personne n’est content. Gandois s’attendait à autre chose et en tout pas pas à cette annonce faite par les politiques alors qu’il n’avait pas été préalablement informé,  il se sent trompé, sort livide e la réunion et « entre en opposition avec les 35h » – c’est sa déclaration aux journalistes.

 Rapport entre le pouvoir politique et l’entreprise

Beaucoup de changements depuis 30 ans. Avant, les 2 mondes étaient plus proches. Le rôle de l’Etat était plus important car:

– il y avait plus d’entreprises publiques: 1/4-1/3, alors qu’aujourd’hui: 10-15%

– beaucoup de choses de l’entreprise dépendaient de règles publiques (par exemple fixer les prix alors qu’aujourd’hui la concurrence prévaut)

Je ne passais, quand j’étais au ministère, que 10% de mon temps avec les chefs d’entreprise.et aujourd’hui, je ne passe quasiment pas de temps avec les politiques (un chef d’entreprise passe son temps à gérer son entreprise, à faire face à la concurrence, le temps qu’il passe avec les représentants du gouvernement est très faible car ses enjeux majeurs sont ailleurs. A Cetelem, 95% des sujets de la réalité de l’entreprise n’ont rien à voir avec la relation au politique).

– Question: Avez-vous été « acheté » par l’entreprise pour votre réseau politique ?

Non. Les élites politiques et économiques ne sont pas les mêmes. Mon parcours est atypique de nos jours. Plus fréquent il y a 20 ans.

Les règles de déontologie ont été renforcées, par exemple pour passer du monde politique au monde du privé, je suis passé devant une commission de déontologie (composée de 5-6 membres, hauts fonctionnaires, nommés pour plusieurs années) qui m’a interdit de contact professionnel avec la Direction générale des impôts pendant 5 ans.

Cette commission a beaucoup de pouvoir. Si elle dit non à un fonctionnaire, la loi empêche le fonctionnaire de passer dans le privé.

– Question: y a t-il des « aides » de l’Etat aux grandes entreprises ?

Beaucoup moins d’aides qu’avant. Plus d’aide générale appliquée sur des critères connus de tous.

Moins d’aide discrétionnaire, ou au cas par cas. C’est une évolution saine.

Volet négatif: certains élus, pour attirer les entreprises (qui créent des emplois dans leur région), proposent effectivement des passe-droits, ce qui crée de la concurrence entre les régions, les pays. Certaines entreprises sont expertes pour ça. Il y a aussi les chasseurs de prime (patrons-voyous), qui empochent la prime d’installation d’une entreprise bidon et disparaissent.

– Des entreprises puissantes, c’est une bonne chose pour l’emploi, l’économie, la France, mais il y a des limites. Le pouvoir ne doit pas être qu’économique. L’entreprise crée de la richesse, le politique (par l’impôt) la redistribue.

– Aujourd’hui la droite est plus proche des entreprises  mais il n’y a pas d’automatisme pour autant.

– Il est normal que  M. Sarkozy soit accompagné de chefs d’entreprise lors d’un voyage (en  Chine par exemple). Ça aide les entreprises françaises à signer des contrats dans le monde – l’Airbus, le TGV et le nucléaire sont fabriqués par des entreprises qui ont une part publique importante.

Il y a une limite morale quand même pour ce qui concerne l’armement par exemple – la France a vendu des rafales en Libye, mais concernant les ventes d’armes, c’est un problème auquel il faudrait s’attaquer au niveau mondial. La France ne peut pas cesser seule de vendre des armes, ça ne servirait à rien. Limite de favoritisme aussi: un Président pourrait amener un patron ami en Chine pour l’aider à vendre son produit…Selon mon point de vue, cela ne se passe pas en ce moment.

– L’Europe a amené la paix, la représentation des pays d’Europe centrale qu’auparavant on ne voyait pas. Grâce à la mondialisation, les denrées sont moins chères. Plusieurs défis s’offrent à l’Europe:  celui du plein-emploi, celui de la recherche et celui de l’enseignement supérieur. Un autre est d’exporter la paix autour: au Maghreb, au Proche-Orient et en Afrique noire.

– L’introduction de l’€uro n’a pas provoqué de hausse des prix – ou très peu (2-3%). C’est une combinaison de facteurs – les 35h et la hausse du prix du pétrole, entre autres, ont participé indirectement de cette hausse.

Avant l’€uro, l’Europe a connu de grosses crises financières, des récessions. L’€uro permet, entre autres, d’amortir la hausse du prix du baril de pétrole.

  • – Concernant l’affaire Messier – il a « pété les plombs ».  L’époque a changé: l’immense majorité des rapports politique-entreprise est saine, transparente. C’est complexe mais pas malsain. Pas d’arrangement, pas de complot. Je veux vous dire ma conviction intime que les élus sont des personnes intègres dans la grande majorité des cas et que nous pouvons les respecter pour le service qu’ils rendent.

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