Jacques Robin

En 2000, dans le cadre de notre chantier sur la mondialisation, nous avons rencontré Jacques Robin. Jacques Robin était médecin. Avec d’autres grands chercheurs, il a fondé le GRIT. Il est également le fondateur de Transversales Science Culture.

Mutation informationnelle et mondialisation

Aucune économie, aucune organisation, aucune démocratie ne peut plus ou ne doit plus agir sans prendre en compte ce qu’elle produit sur l’écosystème. Car une fois que les mécanismes sont enclenchés, cela ne s’arrête plus. L’effet de serre, le mercure retrouvé chez les pingouins, les changements climatiques avec les dernières tempêtes, la vache folle en sont des conséquences. Il nous faut trouver une co-évolution avec la nature.

En cette fin du 20e siècle, une mutation formidable est arrivée : la mutation informationnelle.

Nous pouvons lire l’histoire depuis le néolithique à travers nos rapports à la matière : l’utilisation de plus en plus d’énergie de plus en plus puissante pour modeler la matière.

Mais nous sommes arrivés à une autre ère : les chercheurs se sont rendu compte que la matière porte en elle une caractéristique aussi importante que l’énergie, c’est l’information. Cela est en train de tout changer. Des technologies vont se mettre en place, les technologies informationnelles, dont les principales sont :

– l’informatique ;

– la robotique ;

– la communication avec le numérique qui transforme les sons en images, les images en sons… C’est Internet avec la communication numérisée.

Les biotechnologies qui sont aussi de la transmission de l’information. Elles nous rendent maîtres de la production du vivant (OGM, clonage… qui posent des problèmes éthiques énormes).

Les fondements de la transmission informationnelle n’ont plus de rapports avec les fondements de la transmission énergétique.

Dans la première, on manipule les objets par des codes et des langages, donc plus par la main de l’homme et les outils qui la prolongent. Les termes de l’échange sont donc fondamentalement différents.

Toutes ces nouvelles technologies informationnelles fonctionnent en réseau (internet, intranet…). Elles transforment le temps et l’espace qui ne se comptent plus qu’en flux. Cela va modifier les situations hiérarchiques que nous connaissons.

Par l’informatisation de l’automatisation, on va voir de plus en plus la production d’objets se faire sans le besoin de travail humain. Nous rentrons dans l’ère de la duplication quasi gratuite d’objets (logiciels…). Cela change les donnes de la société industrielle telle qu’on la connaît notamment le système économique basé sur les échanges de marché.

Le système de l’économie capitaliste de marché essaie de gagner du temps en marchandisant ce qui ne l’était pas (la culture, l’éducation, la santé…). Cela va lui permettre de tenir encore un moment. Mais ce système s’effondrera et, s’il n’y a pas eu de construction d’alternative, cela sera grave. Mais comment imaginer autre chose ? Comment imaginer une autre mondialisation ?

C’est normal de penser que la terre entière a un destin commun. La mondialisation est inéluctable. Mais la première mondialisation a été celle de la finance. La financiarisation a été le phénomène le plus rapide de l’informatisation de la société et elle se fait dans un état d’inégalités incroyable entre le nord et le sud. Comment gérer cette mondialisation ?  Se posent des problèmes de gouvernance qui posent les questions du local et du global.

On voit mal, en dehors de l’ONU, ce qui pourrait installer petit à petit une gouvernance mondiale qui travaille sur la notion de biens de l’humanité (l’eau, l’air, le génome humain…).

Nous pourrions placer l’économie au service des sociétés et des hommes, avec plusieurs logiques : une économie plurielle qui pourrait comporter une part de marché aussi, mais pas seulement.

Nous pourrions entrer dans une logique distributive où le revenu d’existence primerait sur le revenu du travail au sens classique. L’homme est fait pour être actif, mais la notion d’activité est différente de celle de travail au sens classique.

Cela est parfaitement possible. Mais pour cela, on doit avoir des indicateurs économiques différents de ceux en cours. Il faudrait mettre en place une comptabilité publique différente que celle du PIB qui, par exemple, prend compte les accidents de la route ou les dégâts de la dernière tempête comme richesse. Cette nouvelle comptabilité pourrait déterminer comme richesse l’éducation des gens, leur santé, leur sécurité… Dans une telle comptabilité, les Etats-Unis qui sont au 1er rang du PIB ne seraient plus qu’en 16e position.

Pour cela, il faut aussi avoir plusieurs monnaies différentes notamment des monnaies d’échange immédiat qui ne soient pas thésaurisables : si l’on donne un revenu d’existence, il faut des projets à court terme, donc des monnaies à court terme. Mais qui va frapper monnaie ? Avant c’était les rois qui frappaient monnaie ; depuis l’économie de marché, ce sont les banques car la seule monnaie qui ait progressé, c’est le crédit bancaire. Le problème, aujourd’hui, est de redonner au politique le soin de frapper monnaie.

Toutes ces propositions ne seront pas faciles à mettre en place mais, petit à petit, on peut y arriver ; des mouvements se font jour qui les portent. Mais rien ne pourra avancer sans un changement des mentalités permettant de passer de l’idée de la concurrence à celle d’émulation, au savoir être ensemble au lieu du gagner seul, arrivant surtout à la notion d’altérité : accepter que les autres soient différents et aimer a priori leurs différences.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *