Marie Blandin

Dans le cadre de notre chantier intitulé Politique, nous avons rencontré Marie Blandin, sénatrice en 2008.

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Marie Blandin, il peut donc comporter des erreurs.

 COMPTE RENDU

Je viens de Lille, faisais de la politique sans être femme politique, militais pour les femmes, l’éducation sexuelle, la paix dans le monde etc. Aucun parti ne m’attirait particulièrement. J’ai enseigné 4 ans dans un collège en Algérie. Mon retour correspond à la période où  se crée le parti des Verts, j’y adhère (nous n’étions pas nombreux encore). Ce parti étant déjà paritaire, à l’occasion d’un scrutin pour les régionales, on me dit « présente-toi ». Me suis alors retrouvée, par le jeu de l’absence de majorité des grands partis, puis des désistements à gauche, propulsée présidente de la région (Nord-pas-de-calais).

Six ans plus tard, sous Mitterrand-Jospin, la gauche régionale traditionnelle se reforme et gagne les élections suivantes. De présidente, je passe à conseillère régionale. Je suis proposée sur une liste et suis élue 1ère sénatrice verte en 2001 (ce sont les maires et conseillers généraux – grands électeurs – qui élisent les sénateurs). Fidèle au non cumul des mandats, je démissionne de mon mandat de conseillère régionale – tous les partis jeunes sont contre le cumul mais plus ils grandissent, plus ils le pratiquent, s’appuyant sur un mandat pour faire campagne pour un autre. Certains cumulent également pour être certain d’avoir des revenus après leur mandat (moi, j’étais enseignante et avais donc un parachute de sécurité).

Le sénat

Sur le site web du sénat on trouvait le nom des 320 sénateurs classés par ordre alphabétique, mais également par: présidents de  région, ou de départements, ou maires… comme un encouragement au cumul. Comme certaines personnalités parlementaires cumulent leur mandat avec celui de maire, on ne travaille pas, au sénat, le lundi et le vendredi pour leur permettre d’être dans leur ville. Le reste du temps c’est jour et nuit qu’on travaille. Si un sénateur est absent, il est payé quand même, ce qui n’est pas le cas au parlement européen.

C’est un bureau, autour du président du Sénat, qui se met d’accord sur l’agenda et le planning de travail. Les sénateurs travaillent de plus en plus, même certains WE car il y a de plus en plus de lois.

Cette assemblée appelée par certains « la danseuse de la République » est interrogée sur son utilité

mais l’expérience a montré (lors du vote de la loi Perben ou sur le divorce par exemple) le bien-fondé de son existence car l’Assemblée Nationale ne voit pas toujours toutes les conséquences d’une loi. La navette (voir plus loin) est indispensable pour d’utiles corrections. Le Sénat a une plus forte proportion de femmes que  l’Assemblée Nationale et la moyenne d’âge n’y est que de 2 ans supérieure.

Le sénat a des fastes publics visibles (concerts, expositions). L’Assemblée Nationale voyage beaucoup, ça se sait moins. Les deux budgets se valent.

Les lois

Le gouvernement fait un projet de loi – par exemple concernant le fichage ADN. Il passe au sénat – le président l’envoie dans une des 6 commissions qui interroge alors des associations d’immigrés, des policiers, des avocats, etc., ce sont des auditions. Puis le rapporteur donne l’avis de la commission au Sénat quand. la loi est exposée et débattue devant l’assemblée sénatoriale. Ministre, rapporteur, sénateur, tous peuvent alors déposer un amendement. Après chaque amendement, ministre, rapporteur et/ou sénateur de chaque groupe politique peuvent donner un avis favorable ou non. Le vote se déroule à main levée sauf si l’opposition demande le vote dans les urnes. Trois urnes, une oui, une non, une abstention   sont alors disposées dans l’hémicycle. Mais les sénateurs ne se déplacent pas pour déposer la plaquette portant leur nom dans l’urne de leur choix. C’est le mandaté de chaque parti qui amène toutes les plaquettes de tous les membres de son groupe et les glisse dans l’urne. Quand il y a des absents, on ne le voit donc pas, leur plaquette est glissée dans une urne !

Le texte, une fois préparé est donc amendé et un peu transformé.

En fait, depuis l’origine: du siège du gouvernement, un motard amène le texte à l’Assemblée Nationale qui fait le travail décrit plus haut . Le texte repart ensuite vers le Sénat qui fait ce même travail, puis il repart à l’Assemblée Nationale: même travail. Cette succession d’allers et venues est appelée: la navette.

Depuis Raffarin, quand on est pressé (et comme il y a beaucoup de projets de lois), on peut  commencer par le Sénat pendant qu’une autre loi se débat à l’assemblée, ou pire, déclarer « l’urgence », ce qui limite le débat à une seule lecture par chambre. Les auditions sont alors moins possibles et le temps de réflexion moins long. On confie le travail de synthèse entre les deux versions votées à une commission mixte paritaire composée de 7 députés et 7 sénateurs – 4 UMP, 2 PS, 1 PC – chargés de se mettre d’accord. La moitié des textes passe ainsi en urgence.

La loi repart enfin au gouvernement qui la transforme en décret d’application. Mais un décret n’est pas forcément appliqué – exemple des antiquaires qui voulaient interdire les braderies. La loi est passée mais à quelqu’un qui s’inquiétait de cette loi, un membre du gouvernement a répondu « vous en faites pas, on ne sortira pas le décret ! »  Parfois la suppression d’un décret est justifiée quand la situation a changé entre temps.

On peut aussi écrire des questions au gouvernement, qui figurent au  Journal Officiel. Le gouvernement doit répondre, le JO le mentionne également.

Le jeudi, c’est le  jour des « questions d’actualité ». Un sénateur interpelle le gouvernement, en présence du ministre (à l’Assemblée Nationale, c’est le mercredi). C’est l’occasion de grandes scènes, avec flash, caméras, tous les parlementaires  sont là, c’est un véritable jeu de rôles, retransmis à la télé.

Les commissions

Le président constate le nombre de places et définit le  nombre d’UMP, tant de PS, PC etc. Les groupes choisissent leurs membres. On ne peut être présent dans deux commissions mais on peut changer de commission (l’économie, la  culture, la plus prestigieuse: les affaires étrangères, qui comprend la diplomatie, la défense et l’armée – y siègent les anciens ministres. On y travaille peu de lois mais on est invité lors des visites des chefs d’Etats).

Un membre ou spécialiste d’une commission ne vote souvent qu’à propos des  sujets concernés par sa commission (mais c’est aussi du au fait que les commissions travaillent pendant le vote des autres commissions). Je suis moi-même à la commission culture.

Nous vivons une crise écologique mais je ne milite pas pour la décroissance. La croissance ou son inverse sont des  symptômes. Appeler à la croissance ou à la décroissance est donc inopérant. Ce qui est plus vertueux est d’appeler à l’arrêt du gâchis et à une justice dans la distribution des richesses.

Questions, débat :

– Concernant le paiement ou non des heures alors qu’on est absent, je suis pour instituer un prorata. Quand Sarkosy est venu à Lille pour les vœux, il y avait des lois à voter  le même jour, à la même heure. Le calendrier brouille les cartes pour le travail et les absences.

– Le bon engagement est-il dedans ou dehors ? Je suis là où je sais que je peux changer le réel – par des amendements – et où ma participation ne soutient pas un parti ou une action politique que je ne défends pas. Un philosophe grec a dit: la vraie démocratie c’est quand chacun peut gouverner et être gouverné.

 La commission des sites et paysages comprend 2 sénateurs et 2 députés, plus des associations du patrimoine etc. C’est elle qui précise si un site doit être classé ou non. J’y ai siégé 1 an.
 

EDF propose le passage d’une ligne très haute tension au-dessus d’un très beau paysage (le Verdon). L’entreprise vient expliquer au travers de films les 2 façons de faire passer le courant (aérien ou sous terre). Le film défendant l’aérien est en couleur, comme un conte, avec une musique genre Vivaldi. Sous terre, c’est en en noir et blanc et musique Science-fiction. Les associatifs de la commission sont un peu intimidés, j’interviens pour défendre le sous-terre afin de préserver le site. Alors que toues les paroles critiquaient les pylônes, le vote opte pour l’aérien ! Un sénateur était absent et les hauts fonctionnaires présents étaient de toutes façons chargés par leur ministre de tutelle de voter pour l’aérien. Des associations écolos locales ont porté plainte et la ligne haute tension n’a pas été autorisée. En fait, cette commission ne décide pas, elle rend un avis pour conseiller le ministre, mais elle est peuplée de gens « aux ordres », car salariés des autres ministères..

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) comprend 18 députés et autant de sénateurs. Sa mission: dire si les biocarburants (par exemple), c’est bon pour le pays. Des sénateurs volontaires  proposent de se charger du sujet.  On met à leur service un haut fonctionnaire.

En tant que sénatrice verte, j’étais rattachée administrativement au groupe socialiste mais pas apparentée. Tous les mardis on se voit et ce mardi-ci on annonce qu’une place se libère à l’OPESCT. Qui la veut ? 2 mains se lèvent – la mienne et une autre. Ce que je ne savais pas, c’est que le candidat socialiste était désigné dès le matin. Tout le monde est livide, ça ne se passe pas comme ça normalement.

C’est ainsi au Sénat, on vous explique tout, tout est lisse, aimable, on vous guide partout, sauf pour déposer une amendement, pour se présenter aux commissions etc.. Ce jour-là, le président PS, m’a fait passer avant !

L’OPESCT est pro-OGM et pro-nucléaire. Jusqu’en 2004, j’étais  la seule femme. S’y prennent les grands avis d’orientations technologiques. Comme les documents font 250 pages, l’habitude est le vote par confiance dans le travail des collègues.  Lors d’un vote concernant le nucléaire, j’opte pour le « non ». Le président se tourne vers moi et me glisse en aparté: il faudra t’habituer, c’est pas vraiment l’ambiance de voter contre. On se fait confiance… De même, lorsque j’ai fait un rapport concernant la pollution intérieure (AVI 3000, moquettes au formol, Décapfour – et des seuils de contamination  interdits dans le monde de l’entreprise mais pas pour l’usage domestique), ils m’ont aussi appliqué la règle de l’unanimité alors que je suppose qu’ils sont fondamentalement contre ce que je soutenais.

L’OPESCT a travaillé sur la contamination due aux essais nucléaires à Tahiti. (cancers multiples et facilement identifiables car ils provoquent des tumeurs simultanées sur plusieurs organes). La ministre des armées, répondant à une députée plaidant la cause de victimes, rétorque qu’ils ont la sécurité sociale et cite un passage tronqué du rapport de l’OPESCT: « En l’état actuel, on ne peut pas affirmer qu’il y a lien entre contamination et cancers en Polynésie », oubliant la suite: « parce que la France n’a jamais mandaté d’étude épidémiologique » !

Les cadeaux : Quelques exemples :

–  Toutes les sénatrices reçoivent un  flacon de parfum de l’industrie.

– SFR envoit tous les ans une bouteille de champagne à tous les sénateurs.

Les lobbies interviennent à forces inégales :

–       les apiculteurs bio relèvent des traces d’OGM ou ont des abeilles malades. Ils viennent expliquer ça devant la commission. Spectacle de gens en souffrance, s’exprimant difficilement, impressionnés, ou représentant un modèle de société sobre, ils sont peu écoutés.

–       et en face, une firme de maïs OGM informant les sénateurs avec DVD, invitant à un voyages aux USA pour information, mélangeant dans les esprits recherche et commerce, utilité médicale et quête de profits pour les semenciers. On leur déroule le tapis rouge. [Il faut faire la différence entre les OGM en serre et en labo et les OGM dehors. Les 1ers servent par exemple pour fabriquer de l’insuline, les 2nds fabriquent du pesticide dans leur propre tige ! Ils sont d’ailleurs depuis le Grenelle interdits en France].

En venant vous raconter ces pratiques, je prends un risque pour mes convictions : celui de vous dégoûter de la politique. Or, ce dégoût le Front National peut le récupérer. Ce dégoût il doit devenir chez vous une force pour exiger une meilleure démocratie.

Il faut avoir de meilleurs élus, les interpeller sur leur présence, leurs votes, leurs cumuls.

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