Pierre Lénel

En 2006, dans le cadre de notre chantier sur la démocratie, nous avons rencontré Pierre Lénel, sociologue et membre de la compagnie NAJE.

Aux sources de la démocratie

Le 6 janvier, Pierre Lénel, sociologue, a évoqué pour nous deux moments forts de l’histoire de la démocratie. Histoire de montrer que le système représentatif que nous connaissons n’est pas la seule forme de démocratie et de stimuler l’imagination pour le changer ou l’améliorer.

Selon Le Robert, la démocratie est à la fois « une doctrine politique d’après laquelle la souveraineté doit appartenir à l’ensemble des citoyens » et « une organisation politique (souvent la République) dans laquelle les citoyens exercent cette souveraineté ». Sommes-nous encore en démocratie ? Pour Pierre Lénel, la question mérite d’être posée. Car tout le monde sent bien que le droit de vote et le suffrage universel (dont il faut rappeler qu’il est fort récent) ne suffisent pas à se prétendre en démocratie. « L’individu ne se sent plus citoyen mais consommateur des « produits politiques » qui lui sont proposés, ou bien victime des autres, des marginaux, des étrangers… », affirme Pierre Lénel.

La démocratie athénienne

La première démocratie a été instituée à Athènes du VIe au IXe siècle avant Jésus-Christ. La source de l’ordre, c’est la loi, le nomos : « Le seul véritable maître que se reconnaissent les libres citoyens sont les lois de la cité ». Sur l’agora (l’espace public) s’instaure une parole libre, qui vise à donner du sens et à faire des choix. L’invention de cette démocratie ne tombe pas du ciel : aux siècles précédents, Athènes a connu de sérieuses crises (sociales, économiques, démographiques…) qui n’ont pu être résolues qu’en inventant des techniques de procédure de choix. Pour Solon, qui passe pour être l’inventeur de la démocratie, celle-ci ne consiste pas à donner le pouvoir au peuple, mais à imposer aux groupes antagoniques des concessions réciproques. Dans la démocratie grecque, il n’y a pas place pour la représentation : la communauté des citoyens est seule souveraine, décidant de ses propres lois, possédant ses juridictions et se gouvernant elle-même. Lorsqu’une délégation est inévitable, les délégués (le plus souvent tirés au sort, car chaque citoyen en vaut un autre) sont révocables à tout instant. Il n’existe pas de spécialistes politiques, et les décisions sont prises l’assemblée du peuple. Pour que les citoyens prennent pleinement leurs responsabilités, il leur faut une éducation qui fasse d’eux des êtres conscients de leurs actes. Et comme les Athéniens n’ignorent pas que le peuple peut aussi se tromper, la tragédie donne à voir à tous que l’homme est chaos, contradictions, tourments… La démocratie grecque signifie la conquête d’une liberté effective pour tous les citoyens, mais les esclaves, les femmes et les métèques en sont exclus. Et comme les activités politiques sont très prenantes et non rémunérées, seules les grandes familles peuvent les exercer. Périclès va essayer de « démocratiser la démocratie » (en atténuant les différences de fortune, en aidant les défavorisés). Mais après lui, la démocratie athénienne connaît le désordre, le déclin, puis la chute…

L’avènement de la démocratie représentative

Second moment crucial dans l’histoire de la démocratie, la Révolution française : les notions de représentation et de volonté générale sont au cœur de tous les débats. Jean-Jacques Rousseau est hostile à l’idée de représentation : pour lui, la souveraineté du peuple est inaliénable, et l’être collectif ne peut être représenté que par lui-même. La taille de l’Etat, la crainte de l’instabilité politique, la conscience des compétences limitées du citoyen, l’application à la sphère politique du principe de « division du travail » inventé par l’économie marchande vont pourtant conduire à une solution de compromis : la démocratie représentative, « régime où la volonté des citoyens s’exprime par la médiation de représentants sélectionnés au sein du peuple. » L’idée de donner à ces représentants un mandat impératif (en vertu duquel ils seraient forcés de faire ce pour quoi ils ont été élus) ou de pouvoir les révoquer est vite abandonnée : l’idée dominante est que la représentation, en permettant la délibération, favorise la formation de la volonté générale (celle-ci n’étant donc pas acquise d’avance). Depuis, aucune constitution, en France, n’est revenue sur le principe du mandat représentatif. L’extension progressive du suffrage universel a contribué à alimenter la croyance que le régime représentatif se transformait peu à peu en démocratie. Mais si nos régimes peuvent toujours être qualifiés de « démocratiques », c’est sans doute dû à la multiplication des contrepoids au pouvoir des représentants :
-  échéances électorales régulières ;
-  liberté d’expression de l’opinion publique (Pour Alain, « ce qui définit la démocratie, ce n’est pas l’origine des pouvoirs, c’est le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants ») ;
-  séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) ;
-  défense des droits de l’homme.

Vers un troisième âge de la démocratie ?

Peut-on aujourd’hui parier sur un nouvel âge de la démocratie, assis notamment sur des outils de participation ? Une grande question reste de savoir si la démocratie est avant tout une technique ou une valeur. Dans le second cas, il ne suffit pas que l’autorité politique soit conforme aux vœux e la majorité des citoyens ; il faut aussi que les objectifs qu’elle poursuit soient conçus de telle sorte que les hommes accèdent à la maîtrise de leur destin.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *