René Passet

En 2000, dans le cadre de notre chantier sur la mondialisation, nous avons rencontré René Passet, économiste et membre du Conseil scientifique d’Attac.

Porto Alegre : j’y étais!

 René Passet commence son récit par un sourire : «Je ne veux pas me vanter, mais j’y étais».

Les journalistes qui ont relayé l’évènement n’étaient pas sur la même planète que nous. Qu’ont-ils vu ? Ils ont vu M. Chevènement, M. Krivine, Mme Mitterrand…. Moi, je les ai croisés aussi, mais Porto Alegre, ce n’était pas cela. Eux gèrent leur fonds de commerce, ils se font voir. Mais le vrai travail a été fait par des gens beaucoup plus discrets.

Porto Alegre, pour moi, c’est d’abord deux images.

D’un côté, les images de Davos : des militaires et des flics plein les rues, des gens tout habillés de costumes gris, venant de pays riches, de sexe masculin, appartenant au monde de la finance, descendant de voiture sous escorte policière pour se réfugier dans leur bunker et tenir leur conciliabule secret avec le sentiment d’être le monde à eux seuls.

De l’autre, Porto Alegre : des gens du monde entier – 20 000 personnes étaient là. Des hommes et des femmes, des peaux de toutes les couleurs dans la rue. Nous étions le monde. On était émus, j’ai des copains qui ont pleuré, et je n’en étais pas loin. Une salle de 4 000 personnes avec, sur la scène, 60 personnes : les délégations du monde entier. Pas un discours officiel. Et puis des pierres gravées, amenées par tous les participants qui ont été scellées en un monument qui symbolise qu’un autre monde est possible. Le vrai monde était là.

Comme nous étions 20 000 et que la salle prévue ne contenait que 4000 personnes, 400 ateliers ont été organisés dans toute la ville. Bien sûr, ils ont été de qualité inégale. Mais nous sommes en train de passer de la contestation à la proposition.

Pourquoi Porto Alegre ?

 Notre monde actuel a une énorme qualité : il sait produire des richesses. Il sait les faire jaillir. Mais il a un énorme défaut : il ne sait pas les répartir. Il ne sait produire qu’en détruisant les hommes, les femmes et les enfants.

Tout point du monde est dorénavant en lien avec les autres. Le monde s’est rapproché. On parle de village planétaire. Et pourtant, le monde n’a jamais été aussi divisé. La machine peut remplacer l’homme et c’est magnifique. Mais au lieu de partager ce gain de temps entre tous, on fait du chômage pour certains et du stress pour ceux qui travaillent. On crée des banlieues pour isoler ceux qui n’ont pas de travail, pour qu’ils se tuent entre eux car un pauvre qui tue un pauvre, c’est moins grave qu’un pauvre qui tue un riche.

Le capitalisme a connu des formes différentes au cours de son histoire, et nous sommes arrivés à la mondialisation financière.

Dans les années 80, Reagan et Thatcher ont libéré les mouvements de capitaux dans le monde (arrêt du contrôle des changes). Limité par les frontières, le capital est à la quête de placements car il est surabondant par rapport à eux. Si on lui ouvre le monde, alors le capital  devient rare, et on se le dispute. Alors il fait la loi.

Quelle est la loi du capital ? Le maximum de dividendes. Dans cette logique, il y a toujours trop d’état, de salaires, de protection sociale. Il y a même trop d’investissements productifs car ils limitent les dividendes. La logique de l’argent, c’est « tout de suite ».

Pourtant, une chose doit être dite : Davos nous dit qu’ils sont les seuls à être dans la rationalité et que nous sommes des irresponsables ou des généreux, ils se trompent car cette logique du capital ne voit que le capital.

Ils disent : si on a deux quintaux de blé, que le moins cher l’emporte, c’est la loi du marché. Mais comment un petit producteur africain qui travaille à la main pourrait-il produire au même coût qu’un agriculteur hyper mécanisé de la Beauce ou des Etats-Unis ? La vraie économie, c’est celle qui va voir derrière le quintal de blé, comment celui qui produit le blé survit… et elle paie plus cher l’agriculteur africain pour lui permettre de se développer.

 

Leur rationalité, c’est en 1996 un afflux de capitaux en Asie parce qu’on croyait que c’était l’eldorado ; et puis, quelques mois plus tard, un retrait de ces capitaux parce qu’on se rend compte que ce n’est pas l’eldorado. Résultat : 23 millions de chômeurs ! Leur rationalité, c’est que les pays sous-développés nous versent en remboursement de dette bien plus que l’aide que nous leur versons. Ce sont eux qui approvisionnent nos caisses.

C’est nous qui sommes rationnels, et nous devons agir sur les Etats car ce sont eux qui peuvent légiférer. C’est la pression des peuples qui peut agir sur les Etats. Et Porto Alegre, cela sert à cela avec quelques propositions à porter :

– un revenu minimum pour tout le monde ;

– l’instauration de la taxe Tobin ;

– la remise en place d’un contrôle des changes ;

– l’annulation de la dette du tiers-monde ;

– la protection de la nature avec le respect des normes ;

– la proclamation comme biens communs de l’humanité de l’eau, de l’air, des gènes, etc.

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