Selma Reggui : « La reconnaissance est plus complexe qu’on ne le croit »

Photo SelmaSelma a travaillé pendant 13 ans comme experte en santé au travail à la demande des représentants du personnel au CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail).
Son travail consistait notamment à établir la démonstration du lien entre la dégradation des conditions de travail et les atteintes à la santé et à la sécurité.
Elle est intervenue sur quatre thèmes.
 
La fragilité
– « On a des salariés fragiles » : phrase prononcée de façon récurrente par des directions d’entreprises.
– Du côté des dictionnaires, « fragile » veut dire précaire. Il veut dire aussi cassant. Il est également synonyme de défaillant, fautif. Le contraire de la fragilité est la résistance, donc être fragile c’est ne pas refuser, c’est accepter, céder.
– Du côté du raisonnement, « fragile » désigne un état. Et comme on pense avec les mots et que la pensée oriente l’action, celle-ci sera en direction des individus pour qu’ils trouvent en eux les ressources pour changer. Alors que « fragilisé » désigne un processus de fragilisation, et permet de remettre en cause l’environnement qui a fragilisé les individus.
– Du côté politique, dire « fragile » c’est légitimer le principe de sélection des plus forts et la nécessaire adaptation de l’homme aux contraintes du travail, alors que le Code du travail oblige les employeurs à adapter le travail à l’homme. Dire « fragile », c’est légitimer l’orientation de la responsabilité individuelle et affaiblir ainsi la lutte pour la reconnaissance du caractère délétère de certaines organisations du travail.
 
L’autocensure 
– Lorsque l’on ne s’insurge pas contre la pénibilité du travail minutieux et répétitif assigné à des ouvrières, ni contre leur excessif contrôle hiérarchique semblable à la discipline scolaire. Lorsque la mise en cause des conditions de travail est absente chez de jeunes cadres qui, pour pouvoir supporter les contraintes et la pression, les « rationalisent », les envisagent comme une épreuve à surmonter, voire un défi stimulant, et non comme une défaillance de l’organisation à refuser (voir la notion de rationalisation des contraintes développée par Serge Paugam).
– Précarité, stratégies de défense, intériorisations des identités de genre font partie des raisons qui empêchent la parole ou la conscience du lien entre conditions de travail et santé.
 
La violence
– Le recours aux contrats précaires, l’augmentation des exigences de productivité, l’individualisation de la performance, l’introduction de la polyvalence qui dépossède les anciens des postes sur lesquels ils ont construit une expertise, le retrait de la formation aux anciens, l’absence ou la disparition d’une grille salariale organisant une équité interne en faisant le lien entre poste de travail, qualification et niveau de rémunération, sont autant de caractéristiques d’une politique d’entreprise productrice de violence.
– En effet, en créant pour les uns (les jeunes précaires) l’occasion de se valoriser, et en signant pour les autres (les anciens stables) leur déclassement et la perte de leurs métier et place, cette politique crée le terrain favorable aux clivages et conflits entre ces deux populations.
 
La reconnaissance 
– Le manque de reconnaissance : une cause principale de souffrance au travail. Mais de quelle reconnaissance s’agit-il, et quels sont les enjeux de ce sujet de la reconnaissance ?
– Deux enjeux : celui de la mise en visibilité du travail réel pour en permettre la reconnaissance, et celui de la non réduction de la reconnaissance à la reconnaissance sociale (celle des autres) : se reconnaître dans son travail est l’autre facette de la reconnaissance, fondamentale du point de vue de la santé. Voir les analyses de Marie-Anne Dujarier et de Dominique Lhuilier dans Prévention du stress et des risques psychosociaux au travail, séminaire Anact, novembre 2007.
 

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